Manon* a huit
ans. Elle aime aller à l’école parce qu’elle y a appris à lire et à écrire. Manon aime
lire des livres, surtout les histoires qui parlent d’animaux, comme les
chevaux, les chiens et les chats. Ces derniers mois, son institutrice a
remarqué que Manon clignait des yeux quand elle a dû copier des phrases depuis
le tableau noir. La maîtresse l'a mise au premier rang et a averti ses
parents.
Quelques jours plus tard, Manon a été avec sa maman chez l’opticien.
Depuis quelques semaines, Manon porte une paire de lunettes à l’école, comme
plusieurs de ses copines. Elle apprécie ses lunettes et elle remarque qu’elle est
moins fatiguée après l’école. Quand elle a terminé ses devoirs, Manon a encore le
temps et l’énergie de faire ce qu’elle aime : Lire une histoire !
Sa maman est aussi contente parce que l'assurance maladie vient de rembourser la paire de lunettes. Pas besoin de se serrer encore plus la ceinture ce mois-ci.
* * * * *
Luca* a
onze ans. Il va à l’école en Ferrari – c’est comme ça qu’il appelle son
fauteuil roulant sur lequel il se déplace depuis presque trois ans. Il a une
maladie rare, les muscles de ses jambes sont trop faibles pour le porter. Cela
s’appelle une dystrophie musculaire.
Pendant la récréation, lorsque ses
camarades jouent au football, Luca dessine. Il sort son petit cahier et fait
des portraits des autres enfants. Il a développé un vrai talent pour ceci,
plusieurs copains ne jouent plus au foot pendant la pause car ils préfèrent
regarder Luca dessiner.
Le mardi après-midi, quand sa classe va au cours de
gym, sa maman vient le chercher pour l’amener en physiothérapie. Même si Luca ne se rend pas à la salle de gymnastique, la commune a dû construire un ascenseur pour lui permettre l'accès à la salle qui se trouve au sous-sol. Le peuple Suisse a voté une loi qui oblige les collectivités publiques à permettre l'accès à toute personne aux installations accessibles au public.
* * * * *
Kevin* a treize
ans. Il souffre d’une mucoviscidose, une maladie qui touche les poumons et les
voies respiratoires. Il suit le cours de gym mais il peut s’arrêter à tout
moment si l’effort est trop violent pour lui.
Kevin rate plusieurs cours chaque
semaine parce qu’il doit aller à la physiothérapie tous les jours. Il prend des
médicaments puissants qui le fatiguent. Il paraît que ses médicaments coûtent
140'000 francs par année, heureusement que c’est payé par l’assurance
invalidité.
Depuis le début de l’année scolaire, Kevin a été hospitalisé deux
fois pendant une semaine entière. Pour rattraper le retard dû aux absences, l’école
lui met à disposition un cours d’appui tous les mercredis après-midi. Tout le
monde fait des efforts pour que Kevin puisse passer l’année scolaire.
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Nicolas a
sept ans. C’est un enfant avec troubles du spectre de l’autisme. Il ne porte
pas de lunettes, il a ni chaise roulante ni troubles
respiratoires. Son cerveau fonctionne autrement que celui des autres enfants ce
qui rend une communication difficile.
Dans son école, Nicolas n’apprend pas à
lire et à écrire, il apprend à se comporter en groupe. Ses parents se sont battus
pour que Nicolas puisse intégrer une « vraie » école au moins un jour
par semaine. Avec une stagiaire qui l’accompagne socialement, Nicolas suit le
programme scolaire hebdomadaire en un seul jour.
Parce que cette intégration se passe si
bien, il peut depuis peu aller deux jours à l’école toutes les semaines.
Nicolas aime calculer et lire ; il lit tout ce qui lui tombe sous les
yeux. Par contre, il a de la peine quand l'ambiance s'agite et qu'il y a du bruit, par exemple lors de cours sous forme d'ateliers, pendant la gym ou la récréation. A ce moment, il met son pamir (protège-ouïe) et peut quitter la classe un petit moment pour se calmer.
L’année
prochaine, Nicolas ne pourra probablement plus aller à l’école. Les
responsables estiment que Nicolas a assez bénéficié des mesures d’aide. Ce n’est plus
possible de faire sans arrêt des exceptions pour un enfant. Le règlement ne prévoit d'ailleurs pas qu'un enfant puisse quitter la classe ou zapper la récréation.
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J'espère qu'ils ne vont pas continuer dans cette
logique. Je crains qu'un jour, ils enlèveront les lunettes à Manon, le fauteuil à
Luca et les médicaments et thérapies à Kevin parce que les autres enfants ne peuvent pas bénéficier des mêmes mesures d'aide…
*prénoms fictifs
La vie est un long fleuve tranquille... si seulement!
En fait, le philosophe grec Héraclite (542 - 480 avant J.C.) a dit que la seule chose qui reste constante durant une vie, c'est le changement. 2500 ans en arrière déjà, le quotidien semblait être mouvementé (du moins en Grèce...)
Un autiste a besoin de stabilité. Dès qu'il y a un imprévu, l'autiste fait quelque chose qu'il a l'habitude de faire afin de se rassurer: il peut bouger les bras comme s'il allait s'envoler (le « flapping »), se boucher les oreilles tout en criant, bouger la tête en permanence comme si c'était un pendule d'horloge... On parle de stéréotypes.
Des personnes « externes » pourraient se poser la question pourquoi Nicolas se met en pyjama à midi (oui, toujours celui avec les étoiles...), pourquoi il aligne ses peluches et pourquoi il trie les smarties d’après les couleurs. Parce que c'est sa façon de se mettre en sécurité.
Vous savez peut-être que Nicolas va deux jours par semaine à l'école ordinaire depuis le mois de janvier. C’est un grand changement pour lui de doubler le nombre de jours: Lundi, il continue d’être accompagné par une bénévole. Le mardi par contre, il doit y aller sans filet de sécurité, le système ici ne prévoit pas d’accompagnement. La maîtresse connaît Nicolas et elle était prête a accepter ce défi.
Afin d’atténuer l’influence que cette situation a forcément sur un autiste, nous essayons de planifier au maximum, d’imprimer des plans, de créer des dessins animés sur une appli pour que la journée de mardi se passe bien. Bravo à sa maman (mon épouse) qui investit des dizaines d'heures chaque semaine pour faire ce travail formidable depuis que Nicolas est scolarisé.
Dans la vie, on peut planifier beaucoup de choses, mais pas les imprévus!
Depuis la fin des dernières vacances début janvier et jusqu'à au début des prochaines vacances aujourd'hui, il y a eu 7 mardis pour aller à l’école. C’est suffisant pour laisser les routines s’installer et ainsi faciliter tous les mardis qui suivent.
Tu parles!
- Un mardi, la maîtresse était malade. Changement de programme donc.
- Mardi suivant, il y a une maîtresse stagiaire qui a intégré la classe afin de gagner en expérience. C’est bien mais ça perturbe le déroulement standard à Nicolas.
- Le troisième mardi, son voisin de pupitre est tombé malade pendant l'école le matin. Fait banal, ceci semble avoir traumatisé Nicolas parce qu'il en parle aujourd'hui encore.
- Du coup, Nicolas a aussi chopé une grippe et a manqué le quatrième mardi.
- Le mardi qui suivait, c'était le dernier mardi de la stagiaire. Il fallait donc le préparer pour se dire au revoir.
- Le sixième mardi, l'institution est venue observer dans la classe comment Nicolas se comportait en classe sans accompagnante. Même si Nicolas était fier de connaître la dame que les autres enfants n'avaient jamais vu, il ne comprenait pas pourquoi sa maîtresse de l'institut se trouvait dans la salle de classe de l'école.
- Le septième mardi, c'était le premier mardi normal. Enfin, presque... les vacances allaient commencer ce qui a excité plus d'un.
Il paraît que lors du mardi d'observation, Nicolas n'était pas très autonome. Il avait l'air perturbé. Et pourtant, après tous ces mardis, une routine aurait dû s'installer...
Je crains que ce rapport influencera l'intégration à l'école lors de la prochaine rentrée. Et comme il n'y aura plus d'exceptions avec une intégration partielle, ça risque bien d'être le retour à la case départ.
Dites-moi: Est-ce qu'un enfant de 7 ans mais sans autisme aurait mieux géré la situation? Et pourtant, chez lui, la question ne se pose pas si l'année prochaine, il pourra aller à l'école ou pas.
Une question récurrente que se posent les parents d’un petit autiste est s'il faut parler ouvertement de la différence de son enfant. Peut-on dire aux grands-parents, aux voisins, aux collègues de travail que notre (nos) petit(s) est (sont) atteint(s) d’autisme?
Perso, j’ai toujours plaidé pour le oui. Jouons les cartes sur tables, soyons transparents, appelons un chat un chat.
Ceci n'évitera pas les commentaires méchants dans la rue, mais au moins les rumeurs. Les gens qui le souhaitent peuvent se renseigner et également poser des questions. Ceux qui ne souhaitent pas aller plus loin pourront dorénavant éviter le sujet ou carrément nous éviter.
Donc: Oui, parlons-en, communiquons, évitons les "Fake News".
Aujourd’hui, je suis moins catégorique sur le sujet. Seuls les imbéciles ne changent pas d’avis.
Pourquoi donc?
Je réalise que chez nous, les autorités scolaires ont catégorisé cet enfant en tant que "enfant à problèmes". Il ne parviendra donc à rien dans sa vie, il travaillera dans un atelier protégé quand il sera grand, les services sociaux s'occuperont de lui quand les parents ne seront plus là. C'est ainsi et pas autrement.
De ce fait, nos requêtes et demandes seront classées sans être traitées. Comme nous insistons, nous, les parents, avons reçu le prédicat "pénibles". Je m'imagine qu'à chaque fois que leur centrale téléphonique détecte un appel provenant de notre numéro, les girophares s'allument et les sirènes s'enclenchent. Nos e-mails sont directement dirigés dans un classeur "courrier indésirable" puis effacé par un super-ordinateur dans les secondes qui suivent.
En discutant avec d'autres parents qui ont des enfants différents (avec ou sans diagnostique), plusieurs d'entre eux ont choisi ne rien dire à l'école. Car sans diagnostique officiel, personne n'interdira à ces enfants de suivre leur scolarité "normale".
Certes, ce sont des enfants plus difficiles à gérer pour les profs. Ils risquent de faire une année supplémentaire pendant leur scolarité mais ceci n'est pas grave si l'enfant obtiendra son diplôme à 16 ou à 18 ans. Il pourra choisir un métier qui lui conviendra, il pourra vivre sa vie à sa façon.
Nous avons raconté à tout le monde que Nicolas est autiste. Aurions-nous dû nous taire face aux autorités?
Indépendemment des conséquences que ceci aurait eu, nous n'avons pas eu le choix. Nicolas ne parlait pas, n'était pas propre, s'auto-mutilait... impossible d'imaginer une scolarité normale trois ans en arrière.
Mais aujourd'hui, grâce à deux jours d'école ordinaire par semaine, il comble les différences avec les autres enfants "normaux" qui ont toute la vie devant eux. Il paraît même que ce n'est pas l'enfant le plus difficile de la classe...
Notre combat continue!