jeudi 7 juin 2018

57. Je rêvais d’un autre monde...

À quinze-vingt ans, je passais des heures à me défouler sur les tubes de l’époque. Les nuits de folies entamées en début de soirée me projetaient dans mes voyages, voyages, surtout quand la musique est bonne... Les démons de minuit et moi avons passé du bon temps ensemble !

Ayant plus que doublé d’âge depuis, je bouge moins mais j’analyse plus les textes d'antan. Et je les transmets, hélas, à ma vie. Jean-Louis Aubert chantait non dans son téléphone mais son microphone :

Je rêvais d'une autre terre
qui restait un mystère
une terre moins terre à terre
oui je voulais tout foutre en l'air

Une autre terre... Imaginez-vous que demain matin, vous vous réveillez suite à un énorme « boum ». Tout de suite, vous réalisez qu’il fait très chaud sous votre couverture qui, elle, semble peser une tonne et demie. Pour vous sortir de la situation, vous criez à l’aide. Des gens que vous connaissez mais qui parlent un language que vous ne comprenez pas vous libèrent et vous installent dans une pièce éclairée par des dizaines de projecteurs... Elle est bourrée de milliers d’objets, plus passionnants les uns que les autres... vous n’arrivez pas à vous focaliser sur un objet parce que le « tic - tac - tic - tac » d’une énorme horloge vous déconcentre. On dirait qu'ils ont mis l'horloge du clocher dans le salon! Des voix apparaissent de partout, et la sirène de l’ambulance qui passe deux rues plus loin va vous exploser votre cerveau, et ce malgré l’isolation phonique du triple-vitrage. Quel début de journée... et il n’est que cinq heures et demi du matin!

La suite de là journée est marqué par d’innombrables questions. Pourquoi l'objet qui était sur la table hier soir n’y est plus? Comment cela se fait que le journal Mickey montre Donald sur la première page? La chaise était droite et couvrait quatre carrés du carrelage... pourquoi est-elle de travers maintenant ???

La faim s’installe, mais vous n’arrivez pas à toucher le biscuit. Il a pourtant l'air succulent, mais le glacage brille et cela vous empêche de le toucher. Vous prenez le verre de jus de pomme et vous apprêtez à le boire, mais votre reflet dans le liquide vous fait rire, au point de renverser la moitié du contenu du verre.

Pour oublier la faim et la soif, vous allumez la télé. Mais pourquoi l'épisode qui a passé hier, que vous avez tant aimé, n'est plus diffusé aujourd'hui ? Bon... vous voulez vous changer les idées et faire un peu de sport. Vous prenez le ballon de football et mettez les baskets, mais l'autre personne qui est dans la même pièce vous dit qu'on ne joue pas au ballon à six heures du matin. De plus, il pleut dehors.

C'est ça la vie sur notre terre ? Freddie et ses reines chantaient dans les années 80 déjà :

Is this the real life, is this just fantasy?
Caught in a landside, no escape from reality
Open your eyes, look up to the skies and see
I'm just a poor boy, I need no sympathy
Because I'm easy come, easy go, little high, little low
Anyway the wind blows
Doesn't really matter to me, to me

Pour Nicolas, ceci est la vie. Il se réveille tous les jours en se posant la question « Où ai-je atterri ? Que fais-je dans ce monde débile... ou plutôt ce monde de débiles ! » Et pourtant, il y vit, et ce tous les jours depuis cinq ans et demi.


Comme beaucoup d'autistes, Nicolas est très sensible au niveau du toucher, de la lumière et du bruit. Il a une excellente mémoire visuelle et n'aime pas les changements quelqu'ils soient. Son monde idéal à lui serait de vivre tous les jours la même chose, dans une pièce peu éclairée et insonorisée. Il passerait sa journée à classer ses jouets par couleur, par taille, par catégorie. A les compter et recompter et encore compter.

Mais Nicolas ne vit pas dans son monde, il vit dans notre monde, celui à nous tous. La société demande qu'il s'adapte à la majorité. Il y a des pressions partout, de la tolérance nul part.

Nous, les parents, lui demandons qu'il apprenne, qu'il devienne plus indépendant. Qu'il apprenne à être un peu plus flexible, qu'il accepte de ne pas pouvoir décider tout. Parce que nous savons qu'un jour, nous ne pourrons plus nous occuper de lui.

Vous connaissez sans doute la suite de la chanson :
Je marchais les yeux fermés
Je ne voyais plus mes pieds
Je rêvais réalité
Ma réalité m'a alité

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