vendredi 20 septembre 2019

94. Interview avec un professionnel



Blog: Bonjour Monsieur...
Professionnel: Je n’ai pas l’habitude des formalités. Appelez-moi Pierre.

Bonjour Pierre. Que faites-vous dans la vie?
J'ai un métier formidable. Je m'occupe d'un garçon qui a des troubles du spectre autistique. Je l'accompagne dans son quotidien.


Vous le soignez?
Non, l'autisme ne se soigne pas. Je me rends avec lui à l'école ou en thérapie, à la place de jeu ou au magasin. Comme il me connaît bien, ma présence le rassure et le calme.


J'imagine que vous ne faites pas du 8-17 heures?
Non, loin de là! Ce job demande de la présence en quasi-permanence. Même si le travail intensif ne remplit qu'une petite partie de la journée, il faut être prêt au travail très rapidement. Dès que le garçon se met en crise, je dois aller vers lui pour le calmer.

Vous devez donc habiter pas trop loin de la famille pour être disponible rapidement?
J'habite chez la famille. Ils me mettent à disposition une pièce dans leur appartement.

Vous gagnez bien votre vie?
L'argent n'est pas important pour moi. Je suis nourri-logé, j'ai des amis, le travail me plaît... j'ai tout ce qu'il me faut! De plus, je passe beaucoup de temps avec la maman du petit. Je l'adore, je crois même que j'en suis un peu amoureux... mais gardez ceci pour vous!

Comment avez-vous choisi ce métier?
On peut dire que c'est une histoire de famille. Mes grands-parents étaient très sociables, mes parents aussi. Cela s'est transmis à mes frères et soeurs, et à moi aussi. Nous avons tous choisi un métier dans le social, dans les homes ou avec des personnes malvoyantes.

Quelles qualités faut-il avoir dans votre métier?
Tout d'abord, il faut vouloir le faire. Donc beaucoup de volonté et de disponibilité. Et il faut de la rigueur et une bonne condition physique. Une bonne vue et aucun trouble de l'ouïe complètent le profil.

Vous avez dû suivre une formation?
Oui, j'ai suivi une formation à Bâle qui dure environ 8 mois. A la fin, j'ai dû passer un examen. Maintenant, je tiens mon certificat fédéral en poche.

Vous êtes donc accompagnateur pour autiste?
Notre métier est apparu assez récemment en Suisse, et nous ne sommes qu'une petite cinquantaine à l'exercer dans ce pays, dont trois ou quatre en Suisse romande. Et pourtant, il y aurait la demande...

Si la demande existe et si c'est un beau métier, pourquoi n'y a-t-il pas plus de personnes qui se forment?
Le problème est qu'il n'y a pas assez de places de formation. Seul 5-6 personnes peuvent se former à la fois. Ils veulent doubler les capacités mais le projet tarde à se concrétiser. Les raisons sont connues, j'espère que cela se règle bientôt.

Avez-vous quelque chose à rajouter?
Oui... en fait, je ne m'appelle pas Pierre. Je m'appelle Winny, je suis un chien d'accompagnement pour autistes. Relisez donc cette interview encore une fois, en connaissance de cause.

jeudi 12 septembre 2019

93. Replay

Si vous ratez le journal télévisé parce que votre train avait du retard ou parce que vous voulez d’abord coucher les enfants, il existe depuis quelques années la fonction « Replay » auprès de nombreux fournisseurs du réseau de télévision. Pour quelques francs de plus, les émissions, séries et films restent disponibles pendant quelques jours après leur diffusion et on peut les regarder ou re-regarder plus tard.

Nicolas a aussi sa fonction Replay. Après avoir vu un épisode d’un dessin animé, il arrive qu’il le reproduise par la suite. Il prend des peluches et des playmobiles pour représenter les différents personnages de l’épisode. D’autres jouets ainsi que nos affaires du ménage représentent le décor de l’histoire. La reproduction et l’intonation des dialogues sont d’une précision remarquable. Les déplacements d’un endroit à l’autre se font comme à la télé à pied, en voiture (bobby car) ou en avion (en portant un avion jouet) d’une chambre à l’autre. Si vous avez vu l’épisode qu'il reproduit, vous vous retrouvez plongé dans l’histoire à Nicolas très rapidement.

Nicolas refait le même épisode dix ou vingt fois, parfois même plus. Pendant plusieurs jours ou même plusieurs semaines, la même histoire se répète. Contrairement au Replay à la télé qu’on peut mettre sur pause, Nicolas ne peut pas être mis en veille. L’épisode doit forcément se terminer avant de passer à table ou avant de partir.
Quand il a faim, on réalise que son épisode passe en accéléré et que certaines scènes n’apparaissent plus, on dirait qu’elles ont été coupées au montage.
Quand on doit se dépêcher pour partir chez le docteur, chaque scène est jouée dans chaque détail…

Au bout de la x-ième représentation, il change d’épisode. Je n’ai pas encore détecté ce qui provoque le changement. En a-t-il marre de cette histoire ? Ou aurait-il juste vu autre chose plus intéressant à reproduire ? Est-ce qu’il a enfin pu reproduire « parfaitement » l’ancien épisode, ce qui lui permettrait de passer au prochain ? Je ne le sais pas !

Parmi les « acteurs », il y a des peluches ou playmobiles qui changent de rôle selon la série ou l’épisode joué. Il y a aussi des figurines qui gardent leur rôle en permanence. Parmi les personnages récurrents, il y a un playmobile qui s’appelle papa – il a pris mon rôle dans le jeu à Nicolas ! C’est pratique, ce « papa » fait toujours ce que Nicolas veut. « Oui Nicolas, on va aller au Macdo. Oui Nicolas, on va acheter un jeu au magasin. » Comme je suis chauve, Nicolas a enlevé les cheveux de ce playmobile. Avez-vous déjà vu un playmobile sans cheveux ? Ce n’est pas très flatteur… il est vide à l’intérieur, il n’a pas de cerveau ! Ceci est probablement la raison pourquoi il dit toujours oui à Nicolas...

Ce mode de fonctionnement replay nous permet aussi de savoir ce qui se passe à l’école.

Si nous posons la question à nos ados comment s’est passé l’école, nous recevons un « heu ! » comme réponse. 
« Heu bien ou heu pas terrible ? » 
« Heu heu ! »
Je n'ai rien compris...

Si nous posons la même question à Nicolas, il nous regarde mais ne répond pas. Par contre, il va reproduire des scènes de l’école dans les minutes qui suivent. Il adore la gymnastique le jeudi et refait les leçons de gym à la maison. Sans qu'on le lui demande, Nicolas se met en habits de gym, pose des gobelets en plastique par terre pour représenter les cônes et slalome entre les gobelets. La laisse à Winny remplace le cerceau par terre dans lequel il faut sauter. A la fin, il vient vers moi, me tend la main en me fixant du regard et dit « Au revoir Monsieur Hervé ». J’en déduis que le prof de gym (qui s’appelle vraiment Hervé) demande aux enfants de le regarder dans les yeux en disant au revoir.

Je trouve ce comportement typique pour un enfant comme Nicolas. Il progresse car quelques mois en arrière, il aurait été incapable de faire quelque chose de similaire. Par contre, ce comportement démontre une fois de plus que Nicolas vit dans son monde et qu’il tend à s’isoler de la réalité et de son entourage..

Comme par hasard, Nicolas ne reproduit jamais les scènes où il doit s’assoir tranquillement au pupitre et écrire des lignes à l'école...