dimanche 24 juin 2018

58. Les douze travaux

D’après le mythe, Hercule a effectué douze travaux. Dans le film du même nom, Jules César a lancé le défi à Astérix d'effectuer douze travaux, plus difficiles les uns que les autres. Il a notamment dû aller chercher un "laisser-passer A38" dans la maison qui rend fou. 



Je pense que les parents d’autistes ont également douze grands travaux à effectuer. Nous nous trouvons actuellement dans la même situation que celle du film d’Asterix! Nous ne voulons pas de laisser-passer A38, nous voulons juste une intégration partielle de Nicolas à la prochaine rentrée scolaire.

Comme Nicolas parle depuis quelques mois, et comme il n’a pas de retard mental, nous aimerions le scolariser le plus rapidement dans un cursus scolaire « normal ». Ceci lui ouvrira des possibilités dans dix ou quinze ans pour qu’il ne soit pas à la charge de la collectivité. Comme il fréquente actuellement un institut pour enfants avec handicap, donc à petits effectifs, nous aimerions envisager une introduction partielle - deux demi-jours par semaine. Notre ambition est qu’il commence l’école à la rentrée 2020.

Tout le monde a tout à gagner. Nicolas pourra un jour exercer un métier qui lui permettra de vivre. L’assurance invalidité ne devra pas subvenir à ses besoins. L’état n’aura plus besoin de payer la place à Nicolas dans l’institut spécialisé. Nous, les parents, saurons qu’un jour, Nicolas n’aura plus besoin de nous, et nous pourrons quitter ce monde sans trop de soucis.

Mais voilà, il y a les différentes démarches administratives à passer!

Disons-le dès le début: un enfant comme Nicolas coûte de l'argent à la collectivité. Une intégration partielle puis complète permettra à réduire les coûts assumés par le contribuable. Les frais de scolarité sont intégralement à charge du canton. Mais... le canton a différents services liés à la scolarité, chaque service semble avoir son budget, et chacun semble vouloir réduire ses dépenses - même si le service voisin doublera ses frais! La même caisse mais pas là même tirelire...

Il y a donc les services liés à l'enseignement normal et ceux liés à l'enseignement spécialisé et mesures d'aides. Il y a les établissements scolaires, l'inspection des écoles et la direction de l'école. C'est bien quand il y a autant de parties concernées, c'est plus facile de se renvoyer la balle.

Depuis octobre 2017, nous sommes en contact avec bon nombre de ces services. Qui ne sont jamais disponibles... et quand ils le sont, ils nous disent que cela ne les concerne pas.
- Ah, une intégration partielle? Faut appeler le SESAM.
- Vous voulez un intégration partielle? Il faut voir avec l'inspectrice des écoles.
- Vous souhaitez intégrer votre fils? Il faut voir avec le directeur de l'établissement scolaire.
- Intégrer votre fils autiste? Il faut que la maîtresse d'enfantine soit d'accord. Ah non, je ne sais pas encore qui sera la maîtresse l’année prochaine !

Il y a deux semaines, nous avons enfin reçu la confirmation (par oral) que Nicolas pourra intégrer une classe "normale" deux demi-journées par semaine dès la rentrée. Il continuera à fréquenter l'institut deux jours et demi. Merci à l'institutrice concernée qui est d’accord d’accepter Nicolas, et merci à la directrice de l'institut qui aura apporté tout son soutien auprès des personnes qui auraient pu influencer cette décision.

Tout est donc réglé ? Mais non... Le calvaire continue...

Comme un autiste a besoin de soutien personnel lors de l'intégration, nous avons droit à un enseignant spécialisé ou une auxiliaire de vie, maximum six unités hebdomadaires. Le canton voisin en propose dix-huit afin de mettre toutes les chances du côté de l'enfant. Mais six, c'est suffisant pour que le projet n'échoue pas dès la première semaine. 

Erreur! Nicolas est scolarisé à l'institut, l'école "normale" ne prend donc pas en charge une intégration. Mais comme il est hors effectif le jeudi et vendredi à l'institut, celui-ci ne peut pas mettre du personnel à disposition. Et le service d'enseignement spécialisé estime que Nicolas coûte déjà assez cher au canton sans qu'ils mettent à disposition une auxiliaire d'intégration.

Nous pourrions nous débrouiller pour rester avec Nicolas pendant l’école mais ce n’est pas permis. La maman ou le papa ont un autre rôle à prendre. Je suis d’accord. Nous avons donc regardé pour engager un étudiant qui accompagnerait Nicolas pendant l’école - pas besoin d’être pédagogue diplômé pour surveiller notre garçon. Mais là aussi, rien à faire. Ce n’est pas prévu par le règlement cantonal.

Dans le film, Astérix finit par obtenir le document convoité, directement des mains du préfet. Nous avons donc contacté le conseiller d’état en charge des écoles, et il nous a répondu par un long courrier personnel! Nous apprenons qu’il y aura une nouvelle loi cantonale sur l’enseignement spécialisé dès le 1er août 2018, tout changera ou presque... 

En attendant, les vacances scolaires commencent dans deux semaines, tous les offices seront fermés, et on ne pourra plus rien organiser. La nouvelle année scolaire commencera après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi...

Panoramix, amène-moi s’il te plaît de la potion magique! Pour ne pas devenir fou..

jeudi 7 juin 2018

57. Je rêvais d’un autre monde...

À quinze-vingt ans, je passais des heures à me défouler sur les tubes de l’époque. Les nuits de folies entamées en début de soirée me projetaient dans mes voyages, voyages, surtout quand la musique est bonne... Les démons de minuit et moi avons passé du bon temps ensemble !

Ayant plus que doublé d’âge depuis, je bouge moins mais j’analyse plus les textes d'antan. Et je les transmets, hélas, à ma vie. Jean-Louis Aubert chantait non dans son téléphone mais son microphone :

Je rêvais d'une autre terre
qui restait un mystère
une terre moins terre à terre
oui je voulais tout foutre en l'air

Une autre terre... Imaginez-vous que demain matin, vous vous réveillez suite à un énorme « boum ». Tout de suite, vous réalisez qu’il fait très chaud sous votre couverture qui, elle, semble peser une tonne et demie. Pour vous sortir de la situation, vous criez à l’aide. Des gens que vous connaissez mais qui parlent un language que vous ne comprenez pas vous libèrent et vous installent dans une pièce éclairée par des dizaines de projecteurs... Elle est bourrée de milliers d’objets, plus passionnants les uns que les autres... vous n’arrivez pas à vous focaliser sur un objet parce que le « tic - tac - tic - tac » d’une énorme horloge vous déconcentre. On dirait qu'ils ont mis l'horloge du clocher dans le salon! Des voix apparaissent de partout, et la sirène de l’ambulance qui passe deux rues plus loin va vous exploser votre cerveau, et ce malgré l’isolation phonique du triple-vitrage. Quel début de journée... et il n’est que cinq heures et demi du matin!

La suite de là journée est marqué par d’innombrables questions. Pourquoi l'objet qui était sur la table hier soir n’y est plus? Comment cela se fait que le journal Mickey montre Donald sur la première page? La chaise était droite et couvrait quatre carrés du carrelage... pourquoi est-elle de travers maintenant ???

La faim s’installe, mais vous n’arrivez pas à toucher le biscuit. Il a pourtant l'air succulent, mais le glacage brille et cela vous empêche de le toucher. Vous prenez le verre de jus de pomme et vous apprêtez à le boire, mais votre reflet dans le liquide vous fait rire, au point de renverser la moitié du contenu du verre.

Pour oublier la faim et la soif, vous allumez la télé. Mais pourquoi l'épisode qui a passé hier, que vous avez tant aimé, n'est plus diffusé aujourd'hui ? Bon... vous voulez vous changer les idées et faire un peu de sport. Vous prenez le ballon de football et mettez les baskets, mais l'autre personne qui est dans la même pièce vous dit qu'on ne joue pas au ballon à six heures du matin. De plus, il pleut dehors.

C'est ça la vie sur notre terre ? Freddie et ses reines chantaient dans les années 80 déjà :

Is this the real life, is this just fantasy?
Caught in a landside, no escape from reality
Open your eyes, look up to the skies and see
I'm just a poor boy, I need no sympathy
Because I'm easy come, easy go, little high, little low
Anyway the wind blows
Doesn't really matter to me, to me

Pour Nicolas, ceci est la vie. Il se réveille tous les jours en se posant la question « Où ai-je atterri ? Que fais-je dans ce monde débile... ou plutôt ce monde de débiles ! » Et pourtant, il y vit, et ce tous les jours depuis cinq ans et demi.


Comme beaucoup d'autistes, Nicolas est très sensible au niveau du toucher, de la lumière et du bruit. Il a une excellente mémoire visuelle et n'aime pas les changements quelqu'ils soient. Son monde idéal à lui serait de vivre tous les jours la même chose, dans une pièce peu éclairée et insonorisée. Il passerait sa journée à classer ses jouets par couleur, par taille, par catégorie. A les compter et recompter et encore compter.

Mais Nicolas ne vit pas dans son monde, il vit dans notre monde, celui à nous tous. La société demande qu'il s'adapte à la majorité. Il y a des pressions partout, de la tolérance nul part.

Nous, les parents, lui demandons qu'il apprenne, qu'il devienne plus indépendant. Qu'il apprenne à être un peu plus flexible, qu'il accepte de ne pas pouvoir décider tout. Parce que nous savons qu'un jour, nous ne pourrons plus nous occuper de lui.

Vous connaissez sans doute la suite de la chanson :
Je marchais les yeux fermés
Je ne voyais plus mes pieds
Je rêvais réalité
Ma réalité m'a alité