samedi 24 juin 2017

19. Comparaison 1 an plus tard

Vendredi, j'ai vécu des grands moments. Le grand espoir, la tristesse, la grande joie... mais aussi la grande désillusion.

Comme chaque fin d'année scolaire, le jardin éducatif spécialisé (JES) que Nicolas fréquente depuis 2 ans a organisé sa fête de fin d'année. Le JES accueille des enfants en âge de pré-scolarité qui ont un handicap physique ou mental, et ce de tout le canton de Fribourg. 

GRAND ESPOIR : Cette fête était donc la possibilité pour moi de vérifier les progrès que Nicolas a fait depuis sa première fête en juin 2016. En tant que papa qui voit tous les jours son enfant, on ne voit pas son fils grandir ou progresser. Ceux qui le rencontrent 1-2 fois par année nous disent chaque fois "oh mais ce qu'il a grandi!" ou "c'est impressionnant les progrès qu'il a fait depuis la dernière fois!" Moi, je ne me rends pas compte de tout ceci, je suis probablement trop pris par le quotidien. 

Je me réjouissais donc énormément de cette fête pour pouvoir comparer. Parce que je me rappelle très bien de la dernière fête qui s'était terminée en catastrophe pour nous, et ce avant d'avoir vraiment commencé...

Départ anticipé donc vendredi du travail, Francine est venue me chercher à la gare pour que nous soyons les deux présents depuis le début. Mon espoir a rapidement fait place à la

TRISTESSE : J'ai été triste pour deux raisons : 
1) de voir tous ces enfants avec des difficultés
2) de voir ma propre réaction

Si changement il y aura peut-être eu chez Nicolas, ce n'était pas le cas chez moi. Cette année aussi, en arrivant au JES, j'ai été très touché! Emu de voir Alex*, le garçon de 4 ans qui est pourtant toujours de bonne humeur, sans jambes sur son fauteuil roulant. Triste de voir Sophie* cligner des yeux 5 fois par seconde tour en se débattant des mains. Et aussi de voir Bastien* couché par terre avec une éducatrice de chaque côté pour le tenir et lui caresser le dos, histoire de ne pas le laisser s'endormir avant l'arrivée de ses parents. Alain*, un trisomique de 5 ans, nous a accueilli en hurlant de plaisir de voir tout ce monde. Au total, une petite douzaine d'enfants qui fréquentent quelques jours par semaine le JES étaient accompagnés d'une dizaine d'éducatrices (aucun homme semble vouloir faire ce travail). Ils avaient préparé avec beaucoup de plaisir cette fête de fin d'année scolaire et même un petit spectacle musique! 

Moi, je n'avais pas le même plaisir. Autant de handicaps sur si peu d'espace, ça m'impressionne, cela pèse. Et en même temps, je réalise que je n'ai toujours pas complètement accepté de faire partie des parents qui ont un enfant "différent". Pire encore, au lieu d'être heureux d'avoir Nicolas, je ressens une sorte de jalousie parce qu'on voit sur tous les enfants qu'ils sont bien atteints... il y a juste Nicolas et un autre petit garçon où ce n'est pas écrit sur leur front qu'il y a un sérieux souci. Donc juste deux couples de parents qui doivent affronter dans leur quotidien des inconnus dans la rue qui n'ont souvent pas de scrupules pour les insulter... C'est méchant de penser ainsi, mais je suis persuadé que les gens seraient plus "cool" envers un enfant dans une chaise roulante qu'envers un autiste!

GRANDE JOIE : Dès que Nicolas nous a aperçu, il est sorti de sa cachette dans laquelle il s'était réfugié avec l'arrivée des gens. Mieux, il prend ma main et me montre "son" école, les thérapeutes, les éducatrices, le buffet... Patati patata blablabli blablabla! Quelle batoille! Il m'explique tout, je ne comprends pas un mot! Par contre, ses gestes et son non-verbal disent tout! Quelle évolution par rapport à l'année passée!!! On sent qu'il a participé à la préparation de la fête, qu'il veut nous expliquer ce qui nous attend, c'est formidable!

Quand je repense à l'année dernière: Nous n'avons pas pu rester deux minutes parce que le fait que maman ou papa viennent au JES, c'était pour chercher Nicolas et rentrer à la maison! Nicolas ne comprenait pas qu'on pouvait rester au JES avec maman et papa! C'était le seul qui hurlait pendant que les autres faisaient leur ronde en tapant sur le tambourin. 

Quel changement, vraiment super!!! Je suis fier de mon fils, fier du travail accompli ces 12 derniers mois... Puis la

GRANDE DÉSILLUSION : Une fois les "présentations des lieux" par Nicolas terminées et toutes les "explications" données, Nicolas était prêt à partir. Disons plutôt qu'il voulait partir... qu'il devait partir!!! Maman et papa étaient là. Nicolas nous a expliqué ce qui allait se passer. On devait donc partir. Sa tête ne lui permettait rien d'autre!

Mais moi, je ne voulais pas partir. Je suis venu pour voir le petit spectacle, pour discuter avec les thérapeutes, pour boire un verre et manger un morceau de gâteau. Rien à faire. Nicolas sort ses cris stridents, me tire la main, me pointe du doigt la sortie. Et bien sûr, il pleure... Quand le petit spectacle a commencé, ils ont dû le faire sans Nicolas. Il n'a même pas voulu participer avec papa (heureusement, je ne connaissais pas la chanson...)

Nous avons résisté ainsi un quart d'heure ou même vingt minutes avant de partir et rentrer à la maison.

RESULTAT : Même si Nicolas a fait des progrès - et même des grands progrès - par rapport à l'année passée, il reste du chemin à faire. Beaucoup de chemin! Pas une ou deux fois par année, mais tous les jours! Du chemin pour lui... et pour moi aussi! 

Je dis que je suis content d'avoir un enfant différent parce que j'apprends énormément de choses. J'ai l'impression d'être content - un jour je serai content!



*prénoms d'emprunt

mercredi 14 juin 2017

18. Un rêve...

J'ai fait un rêve. C'était un beau rêve :




Dehors, le soleil radieux ravit les gens qui sont tous de bonne humeur. Quelques arbres offrent de l'ombre aux gens pour qu'ils n'aient pas trop chaud. A l'intérieur, la salle du restaurant est pleine à craquer, mais cela ne semble déranger personne.

Le buffet auprès duquel les gens se servent est simple mais bon. Chacun se sert de ce qu'il veut, il n'y a pas d'excès, pas de gaspillage, il y en a assez pour tout le monde. Et tout le monde fait patiemment la queue, personne n'essaie de dépasser la personne qui est devant. Les règles de comportement au buffet sont strictement respectées, même s'il n'y en a pas.

Les gens discutent de leur vie, de leur soucis. Beaucoup parlent d'autisme. Il n'y a personne qui change de sujet parce qu'il est mal à l'aise ou parce que cela ne l'intéresse pas.

Les gens se comprennent. Ils semblent tous avoir des problèmes similaires. Du coup, il y a des bons conseils réalistes, pas de théories comment changer le monde.

Les enfants qui sont dans la salle se lèvent et courent. Certains crient parce qu'ils sont submergés par les émotions ; c'est difficile de voir tout ce beau monde. Malgré ceci, il n'y a aucun regard méprisant. Pas de reproches envers les parents qui "ne savent pas élever leurs enfants".

Les gamins qui ont fini de manger jouent dehors sur la place de jeu protégée par une barrière. Même s'il n'y a pas de jeu commun, il n'y a pas de bagarre. 

D'autres enfants sont assis à table avec leurs pamirs (protège-ouille) sur la tête. Cela ne provoque aucunement des questions auprès des gens présents, pas de regards discriminants non plus. Certains enfants s'occupent avec leurs tablettes et smartphones. Là aussi, pas de remarques des gens présents style "il ne faut pas laisser ce genre de gadgets électroniques aux petits" ou "à notre époque, on savait comment s'occuper".

Il fait chaud. La température, mais aussi les vives discussions, assèchent les gorges. Tout le monde boit de l'eau et des boissons sucrées à volonté. Les adultes se permettent même un peu de vin tout en étant raisonnable. Personne ne se soucie de l'addition parce qu'il y a un trou dans le budget suite à la dernière facture thérapeutique refusée par l'assurance-invalidité. 


Le temps file beaucoup trop vite. Mon rêve va bientôt se terminer. Mais je ne me réveille pas, même quand je me dis que je dois me lever pour aller au travail... le rêve continue.

En fait, je réalise que ce n'était pas un rêve. C'est bel et bien la sortie familiale annuelle d'Autisme Suisse Romande ! Merci à eux de nous permettre de vivre un tel moment une fois par année!



PS: Comme en dehors des fêtes de fin d'année nous sommes tous moins sollicités, vous avez peut-être envie de soutenir l'association Autisme Suisse Romande maintenant ?







samedi 10 juin 2017

17. Le regard qui... fait vivre !

Cela vous est-il déjà arrivé ? Vous êtes dans un endroit bondé de personnes. Des hommes, des femmes, des gens plus ou moins importants, bref, Monsieur et Madame Tout-le-monde. Et soudain, une paire de yeux attrappe votre regard et ne vous lache plus. Ce n'est pas le regard d'une superstar, mais un coup d'oeil qui vous fige. Vous ne savez pas pourquoi, votre coeur accélère à 160 et même à 180 ! Le regard reste gravé dans votre mémoire jusqu'au soir dans votre lit... vous en rêvez même ! En pensant à ce moment, le bonheur revient en vous... c'est trop beau, un moment à revivre le plus rapidement possible !




Le lendemain, vous faites tout pour retrouver cette personne et surtout ce regard. Vous cherchez, vous essayez de recréer ce moment artificiellement. Et soudain, vous retrouvez LA personne. Mais pas le regard... non, ce n'est plus la même paire d'yeux qui vous fixe. En fait, il n'y a même plus de regard. La déception !

Je vous rassure, je ne suis pas tombé amoureux d'une autre femme. Non, je ne suis pas en train de quitter ma chère et tendre, j'aime toujours ma Francine !

Le regard dont je vous parle est celui de Nicolas. Un regard vide, un regard dans le vide. Ou plutôt un regard qui passe à côté de vous. S'il avait les yeux révolver, il raterait sa cible à chaque coup.

Cela n'arrive pas qu'à Nicolas, les personnes atteintes d'un TSA (autistes) ne regardent que très rarement le visage d'autres personnes. Un autiste est souvent submergé par la quantité d'informations qui se trouvent sur un visage : la position des sourcils, la forme de la bouche, des facteurs additionnels comme des poils qui poussent ou un point noir qui surgit sur le nez... sans parler des yeux plantés par dessus cette multitude de choses à interpréter. En tant qu'autiste, il vaut donc mieux ne pas regarder un visage pour ne pas être surchargé en interprétant tous ces petits détails qui restent cachés à nous, les neurotypiques.

Vous pouvez être un parfait inconnu, un proche ou le papa, un autiste ne vous regardera pas dans les yeux. C'est difficile à accepter que ton propre fils ne te regarde pas !

Des fois, j'essaie de forcer les choses. Je prends Nicolas sur mes genoux, je lui bloque la tête face à mes yeux et lui dis "Regarde papa, regarde papa !" En me fuyant, ses yeux restent même pas un dixième de seconde sur mes pupilles. Rien à faire ! Cela ne s'impose pas, cela ne s'entraîne pas...

C'est arrivé il y a quelques jours à la place de jeu : Nicolas était à 3-4 mètres de moi, près d'un train en bois dans lequel je me suis assis pour me protéger de la pluie. Soudainement, je sens mes poils se redresser... Nicolas me regarde, il me fige ! Je croise son regard, je lui parle, puis il me fait un énorme sourire, sans dériver ses yeux du moindre millimètre. Il est venu vers moi pour venir s'assoir à côté de moi. Ca a duré dix secondes ou même quinze... pour moi c'était une éternité ! Il a lâché le regard en grimpant sur le train, je ne l'ai plus retrouvé...

Mais ces quelques secondes, c'est pour moi une éternité de bonheur, une joie immense qui me tombe dessus !!! Ce n'est pas le regard d'une superstar, mais un coup d'oeil qui me fige. Je ne sais pas pourquoi, mon coeur accélère à 160 et même à... 200 ! Le regard reste gravé dans ma mémoire jusqu'au soir dans mon lit... j'en rêve même ! En pensant à ce moment, le bonheur revient en moi... c'est trop beau, un moment à revivre le plus rapidement possible ! 

Je l'attends toujours. Mais si d'autres personnes peuvent avoir un regard qui tue, Nicolas a le regard qui me fait vivre !!!