samedi 25 décembre 2021

135. Rencontre nocturne

Cette nuit, je me suis levé pour me prendre un verre d'eau. Il y avait un homme d'un certain âge dans le séjour, barbu, vêtu tout en rouge. Avant que je puisse lui poser la question ce qu'il faisait chez nous, il m'a salué : Bonjour Matthias. Joyeux Noël ! 

Comme il avait l'air sympa, je lui ai proposé un verre de rouge, mais il a préféré boire un verre de lait. En sirotant sa boisson, il m'a demandé ce qui me ferait plaisir à Noël.

J'en ai marre de cette pandémie. Je n'en peux plus des gens qui flippent, du fossé qui se creuse entre les pros et les antis... je voudrais que ces restrictions s'arrêtent.

Le bonhomme en rouge rigole et me dit : Un cadeau de Noël doit être personnel, quelque chose pour toi et pas pour toute la planète.

Je réfléchis et lui réponds : Vous avez raison. En fait, j'aimerais juste comprendre comment fonctionne mon fils Nicolas. Voir dans sa petite tête pour pouvoir anticiper ses réactions, avoir plus d'empathie lorsqu'il crise afin de pouvoir le calmer rapidement.

Le bonhomme en rouge n'avait pas l'air de comprendre, ses yeux avaient l'air surpris. Alors je lui explique.

Cette année, en plus du calendrier de l'avent chocolaté traditionnel, Nicolas a reçu d'une voisine un calendrier d'avent Playmobil. Tous les jours, porte par porte, une figurine, un meuble ou un accessoire est apparu pour former, le 24, une pièce à vivre dans laquelle les figurines peuvent fêter Noël.

Le premier jour, je lui ai donc monté la "chambre" en carton qui était prête à se remplir jour après jour, jusqu'au 24. Je n'aurais pas parié quatre sous là-dessus, mais Nicolas a sagement ouvert la porte du calendrier tous les matins, en se levant à 6 heures. Comme il n'y avait pas beaucoup de contenu les premiers jours, il y a installé une voiture, un robot et un dinosaure. Presque comme dans le sketch à Mr. Bean...

Je vide mon verre de rouge et m'en ressers un. Le Monsieur en face m'a tendu son bol de lait en demandant de verser un peu de vin dedans. Je continue à expliquer :

Le 4 ou 5 décembre, Nicolas a fouillé dans les cartons à recycler. Il y a trouvé la notice qui indiquait chaque jour quel objet il allait trouver derrière la porte du calendrier de l'avant. Il l'a étudié de longs moments. Dorénavant, Nicolas disait tous les jours que le 13, il recevra le bonhomme de neige et qu'il se réjouissait de jouer avec

Le 13, il a ouvert la porte, a sorti le bonhomme de neige et l'a mis de côté en disant que le 18, il y aura la trompette et que le Playmobil pourra enfin faire de la musique le 18. 

Je bois une gorgée, le bonhomme me tend son bol en indiquant de la main qu'il en reprenait volontiers un peu.

Le 18, au lieu de célébrer la trompette Playmobil, Nicolas a commencé à se réjouir du sapin qui arrivera le 24.

Quand enfin le 24 arriva, Nicolas a sorti le sapin en plastic et m'a demandé de l'assembler. Pendant que j'essayais de monter les quelques bouts verts sur la tige en plastic et décorer le tout avec une guirlande plus petite que mes doigts, Nicolas a rangé les autres pièces dans le calendrier : le garçon derrière la porte 1, la trottinette derrière la porte 2, le fauteuil derrière la porte 3...

Alors je lui ai dit que non, qu'il pouvait enfin jouer avec toute l'équipe Playmobil qui était maintenant au complet. Nicolas m'a dit "Non, non, c'est le 24, le calendrier est fini, je range." Et comme il n'a pas réussi à refermer toutes les portes du calendrier en carton, il s'est énervé et a monté les tours. Toute la journée a été pourrie par la suite, jusqu'au souper.

Vous voyez, Monsieur, j'aimerais bien comprendre pourquoi il fait ça. Comment tournent les rouages dans son cerveau, pourquoi il n'arrive pas à se réjouir quand le jouet est au complet, pourquoi il se gâche la journée pour des bêtises. En fait, mon plus beau cadeau de Noël serait de trouver des réponses à mes questions.

Mon invité a vidé son bol de lait rouge, a levé les yeux au ciel et m'a dit : J'ai encore du travail, je dois partir. La fin du Covid en printemps, ça joue pour toi?


L'année 2022 sera bonne. Je vous souhaite d'excellentes fêtes !

samedi 4 décembre 2021

134. Cache cache

En bon citoyen suisse, j'ai effectué mon service militaire obligatoire lorsque j'ai été jeune. Je n'ai pas aimé faire ceci, mais je vais vous raconter une histoire qui est arrivée lors de mon dernier cours de répétition.

Un matin de février, lors de l'appel matinal, le sergent-major a annoncé l'effectif de la troupe au capitaine, comme tous les matins. "Batterie Etat-Major à l'appel. Effectif 117, présents 66. 6 hommes à la garde, 4 en cuisine, 2 en congé, 2 à l'infirmerie, 37 hommes détachés."

Le capitaine réfléchit une seconde et demande : "Détachés où?"

Un peu embarrassé, le sergent-major répond : "Par ci, par là... En fait, je ne sais pas. Peut-être qu'ils sont encore en chambre. Ou aux toilettes. Ils ne sont pas là."

Vous le saviez déjà qu'en cas de guerre, ce n'est pas l'armée qui sauvera la population suisse.

Le capitaine s'excite, devient rouge, il pousse des cris, la crise... il explose. Il nous a fait comprendre que l'appel du matin était le moment le plus important de la journée, que tout le monde devait y être pour qu'il puisse nous informer des choses importantes... 
La troupe n'était pas impressionnée par son blabla. 

Lorsque le commandant nous fait comprendre que personne ne rentrerait à la maison samedi si tout le monde n'était pas sur la place d'appel dans quinze minutes, la recherche intensive des hommes manquants a commencé.

Nous en avons retrouvé une quinzaine restés dans leur lit, quelques uns squattaient déjà à la cantine. Deux ou trois étaient cachés derrière une baraque pour téléphoner à leur chérie. Trois ont encore profité de l'eau chaude que la douche offrait en abondance le matin, quatre jouaient aux cartes au dépôt matériel.

Le sergent-major a fait et refait les comptes, mais il manquait encore une personne. Mais qui? Tout le monde essayait de se souvenir de la sortie d'hier... 
Il y avait les habitués et les nouveaux, ceux qu'on connaissait bien et ceux qu'on évitait. Ceux dont on connaissait le prénom et les autres qui avaient juste un nom de famille. Mais qui manquait? 
Le fourrier passait à travers ses listes pour vérifier si nous étions bien 117, ou si quelqu'un aurait été licencié entretemps?

C'est à ce moment-là que le soldat Dupont se glisse sous la barrière, un sachet avec des croissants dans la main, un petit pain dans la bouche. Tout le monde s'en foutait d'où il venait... ce qui comptait c'est qu'on était 117 et qu'on pouvait rentrer à la maison samedi matin.


Changement de sujet.

Nicolas est fan de peluches. Il collectionne tout ce qu'il reçoit, et jamais il n'en perdrait une. Je pense qu'il en a 117 mais je ne les ai pas comptés.

Il a ses favoris, et il y a celles qui passent leur temps dans une caisse ou un sac avec d'autres peluches. Il y a les grandes peluches et les petites, les animaux de la ferme, ceux de la jungle, les héros de BD ou livres... Chaque peluche a un nom et Nicolas s'en rappelle même s'il n'a plus joué avec telle ou telle peluche depuis longtemps.

Il arrive que tout à coup, il cherche Grisou le lapin ou Tinky Winky le Teletubbie. Nicolas vide sa caisse, il cherche dans son armoire, il monte les tours, il se met à pleurer jusqu'à ce qu'il (ou quelqu'un d'autre) trouve la peluche recherchée. 

Nous avons essayé de faire un peu de place et donné des vieilles peluches à la charité sans en informer notre fils. Ca a été le drame quelques jours plus tard lorsqu'il n'a plus trouvé Camille le renard et Sophie la perruche. Pour protéger nos nerfs, nous ne procéderons plus à ce genre d'actions à l'avenir.

L'autre soir, Nicolas était dans son lit vers 21 heures, prêt à s'endormir. 
Avec un regard fatigué, Nicolas demande de dormir avec sa peluche de Georges Pig. Je regarde sur le meuble à côté du lit, sur l'étagère, dans son filet suspendu rempli de peluches... Pas de trace de Georges.

Comme Nicolas a joué l'après-midi avec ce cochon, il doit forcément être au salon. Ou à la cuisine. Rien. Ni à la buanderie ni dans la machine à laver. Est-ce qu'il est sorti au jardin cet après-midi? 

Nicolas se lève et l'appelle : "Georges, où es-tu?" 
Non mais... Tu crois vraiment que la peluche va te répondre??? 

"GEORGES!"

Nous ouvrons les armoires les unes après les autres. Je pense que Nicolas possède 117 peluches, mais je suis certain que nous avons 42 portes d'armoires et tiroirs dans notre cuisine. Et 14 dans le salon. 

Hélas, Georges ne se trouve derrière aucune de ces portes. Ni dans le meuble de la salle de bain, ni dans la penderie à l'entrée. Par contre, nous avons trouvé 4 autres peluches réfugiées dans des armoires ou tiroirs.

Là, un bout de tissu rose pointe derrière les livres de la bibliothèque! C'est Pepa, la soeur de Georges. 

"Noooon! Je ne veux pas Pepa! Je veux Georges!!!"

Nicolas s'énerve et monte les tours. "J'ai perdu Georges! Georges est parti!" Des larmes montent dans ses yeux. Moi aussi je vais me mettre à chialer. "Mais non, on va le trouver ton Georges..."

Avec des lampes torches, nous nous mettons à chercher Georges dans le jardin. Nous avons trouvé Petit poilu dans la cabane de jardin et Mickey dans la boîte aux lettres. Georges, lui, n'y est pas.

Nous craignons le pire : est-ce que le chien aurait dévoré ce cochon en peluche?

Désespérés, nous nous apprêtons vers 21h45 à annoncer à Nicolas que Georges ne dormira pas avec lui ce soir, qu'on le trouvera demain... en espérant que Nicolas arrivera quand même à dormir quelques heures. 

Nous retrouvons Nicolas couché dans son lit, il sert contre lui une peluche rose... Georges!!!

Fâché mais soulagé qu'il soit bel et bien "vivant", je demande à Nicolas où il a trouvé Georges. Mais Nicolas ne répond pas, il est sur le point de s'endormir. Tant mieux pour lui!

Je sais déjà que demain, il cherchera la peluche de Titeuf ou Simon le lapin et que le même cirque recommencera.

Est-ce qu'il faut commencer à mettre des GPS dans toutes ses peluches pour les traquer et éviter un tel cirque? 

J'ouvre une armoire, enlève le tigre vert et l'écureuil brun dont je ne me souviens plus des prénoms pour m'accorder un verre. Je vais les appeler Jim (Bean) et Jack (Daniels).

Georges est rose. Le quotidien avec un enfant autiste ne l'est pas...


samedi 11 septembre 2021

133. Vax

J'ai entendu dans une chronique radio que les premiers anti-vaccins sont arrivés en même temps que les premiers vaccins. Il paraît qu'à la fin du 18e siècle déjà, des chercheurs se sont injectés des petites doses de virus afin de provoquer la production d'anticorps et ainsi stimuler leur immunité. Le fait de s'injecter un produit "étranger" au propre corps a rapidement provoqué des réactions négatives dans leur entourage. Heureusement qu'à l'époque il n'y avait pas encore internet et les réseaux sociaux, la haine est donc restée très locale... mais elle existait déjà.

Changement de sujet. De nos jours, plus d'un enfant sur cent nait avec des troubles autistiques, et les chiffres ne cessent d'augmenter. J'ai même lu cette semaine que des récentes études démontrent qu'une naissance sur 54 est touchée par ces troubles! Les causes de l'autisme ne sont pas encore connues. Une théorie (parmi d'autres) est que les vaccins infligés à un nouveau-né favoriseraient l'autisme. Les métaux lourds contenus dans les vaccins provoqueraient une disfonction du cerveau.

Je ne suis ni médecin ni pharmacien, je suis juste un papa d'autistes. Je ne peux pas juger du bien-fondé de cette théorie, mais je clame haut et fort que Nicolas n'a jamais été vacciné. Au moins chez lui, l'autisme provient d'une autre source!

C'est un choix que nous avons fait neuf ans en arrière, lors de sa naissance, bien avant qu'on sache qu'il ait des troubles quelconques et avant qu'on entende parler du Covid. A chaque rentrée de crèche ou scolaire, nous avons dû expliquer que Nicolas ne possédait pas de carnet de vaccination parce qu'il n'a jamais eu de vaccin.

En cette période où la population se partage de plus en plus en deux camps - les pro-vaccin et les anti-vaccin - les propos tenus deviennent de plus en plus extrêmes. En dehors de tout contexte, un anti-vax m'a accusé que mon fils ne serait certainement pas autiste si on ne l'avait pas vacciné, que c'est ce poison qu'on lui aurait injecté quand il était bébé, que c'était de notre faute.

Arrêtez, s'il vous plaît! J'en ai marre de ces théories non fondées.

Nos politiques disent que nous avons le choix de nous faire vacciner. Qu'on soit contre ou qu'on soit pour, je pense que nous n'avons plus ce choix. Pas pour une question médicale, c'est le fait de pouvoir bouger librement en présentant le certificat Covid. 

Je n'ai pas peur du "poison" dans le vaccin, je sais qu'il n'y a pas de métaux lourds dans les vaccins Covid administrés en Suisse, je ne crois pas à la micropuce contenue dans les dosettes. J'ai donc accepté la première dose (et bientôt la deuxième) dans l'unique but d'obtenir le pass Covid. On parle déjà de troisième dose, je ne la recevrai pas tant que seulement 2% des Africains sont vaccinés. Après tout, cela reste du business.

Je ne suis pas fan de notre président de la Confédération, mais il a dit quelque chose de très bien : "L'ennemi, ce n'est pas la partie de population qui ne pense pas comme nous. L'ennemi, c'est le virus." A réfléchir...

Non, l'autisme n'est pas né d'un vaccin.

En tous les cas pas chez Nicolas!



vendredi 20 août 2021

132. Le bon choix ?

Il y a quelques années, mon épouse et moi avons fait le choix de soutenir notre fils Nicolas afin de lui donner toutes ses chances dans sa vie. Nous avons abandonné d’autres projets pour pouvoir être là pour lui. Ma femme a laissé tomber son ambition de reprendre une activité professionnelle structurée, et mes jours de congés disparaissent petit à petit pour des bilans thérapeutiques ou des rendez-vous médicaux. C’est vrai qu’il vaut mieux être à deux pour se rendre avec Nicolas et son chien d’accompagnement au CHUV à Lausanne ou quand un médecin vous fait patienter une heure en salle d'attente !

Les frères à Nicolas aussi doivent faire des sacrifices en permanence, mais eux n’ont pas pu choisir s’ils le veulent ou pas. Fini les sorties familiales le week-end ou les vacances en famille, Nicolas ne supporte pas les nouveaux endroits. A la maison, ils doivent subir ses crises permanentes, et difficile d’amener des potes ou une copine à la maison dans ces conditions.

Nous avons donc fait le choix de mettre toutes les chances de vivre une vie « normale » de son côté. Nous avons déménagé et changé de canton pour que notre fils puisse aller à l'école, le canton de Fribourg n’offrant pas la possibilité à des enfants comme Nicolas de suivre une scolarisation digne de ce nom.

Nous avons fait ces choix par amour envers notre fils, mais aussi dans l'espoir de pouvoir un jour quitter ce monde sereinement, quand le moment sera venu. En aucun cas, je ne souhaiterai demander à ses frères de s'occuper de Nicolas quand je serai trop vieux pour le faire !

Il y a d'autres parents d'enfants TSA qui ont fait un autre choix. Leur enfant touchera des indemnités des assurances sociales quand il sera adulte, cela permettra de survivre. C'est un choix, je le respecte mais ce n'est pas celui que j'ai fait. Non, je ne veux pas que Nicolas doive survivre, je veux qu'il puisse vivre !


Hélas, avec un tel choix, notre quotidien n'est pas simple tous les jours. Je me suis habitué aux regards malveillants et aux commentaires méchants de certains adultes, mais à neuf ans c'est Nicolas qui doit subir les mêmes commentaires des autres enfants. Cela le perturbe d'être différent, ça le dérange ! Mais il n'arrive pas (encore) à cacher sa différence.

Il y a aussi des tracas administratifs qui nous mettent des bâtons dans les roues et nous rendent notre combat difficile. Si nous avions placé Nicolas dans un institut, nous n'aurions pas tous ces formulaires à remplir, ces lettres à écrire et ces explications à donner.

Pourquoi les écoles veulent remplacer toutes les personnes qui ont accompagné notre fils l'année dernière alors que celles-ci ont émis le désir de continuer dans la volée ? Pourtant, nous sommes intervenus assez tôt et au bon endroit pour maintenir une constance. Mais quand certaines personnes au pouvoir veulent décider, difficile de faire changer d'avis.

Il y a également des mesures que je ne comprends pas. Pourquoi ses camarades de classe qui ont passé des vacances dans les pays à risque Covid peuvent aller à l'école normalement lundi, alors que Nicolas a dû subir des tests Covid toutes les semaines pour aller un ou deux jours dans une institution durant l'été ? Couper les ongles à Nicolas est difficile à cause de son hypersensibilité. Couper les cheveux est presque impossible... imaginez le coton-tige dans le nez toutes les semaines ! Nous avons posé la question à notre ministre de la santé. Pourquoi un enfant avec un handicap doit subir des règles plus sévères qu'un enfant « classique » ? 

Dans une lettre non signée, Monsieur le Ministre nous a remercié par écrit pour nos suggestions constructives. Son staff n'a même pas pris le temps de lire la lettre. Comment voulez-vous que ça change ?


Il y a des jours où nous avons envie de tout plaquer, de recommencer une vie normale, de placer Nicolas en institution. Je n'ai pas honte de le dire. Que ceux qui critiquent ces paroles me prennent Nicolas pendant 48 heures. Je pourrais enfin aller au restaurant ou me payer un week-end prolongé quand ma femme et moi en avons envie. 

J'aurais de l'énergie et le temps pour faire un peu de sport, chanter dans un choeur ou jouer au théâtre... Nous ne serions plus obligés d'écouter des conseils de thérapeutes ou profs style « vous avez l'air fatigué, prenez soin de vous » ou « oui, je sais comment prendre en charge un autiste, j'en avais un dans ma classe en 2010. »


Pour cela, il faudrait déposer Nicolas du lundi au vendredi dans une institution spécialisée... et aussi un week-end par mois. Il apprendrait les bases de la base, et un jour, à sa majorité, il toucherait une rente de l'assurance-invalidité. Pour survivre, du moins économiquement.

Non, je ne veux pas. Il y a quelques années, nous avons fait un choix. Le bon choix, même si je doute par moments... 

samedi 10 juillet 2021

131. Les visiteurs

Lors d'un dîner en mai, nous avons parlé d'un couple d'amis, Eric et Sandrine (prénoms d'emprunt). Nous ne les avons plus vus depuis le début du Covid, on se pose la question comment ils vont.

Nicolas, qui écoute tout ce qui se dit, nous suggère de les inviter. Mais non, Nicolas. Tu ne supportes pas que des gens viennent chez nous, et en plus tu ne les connais pas.
Nicolas insiste : Si, il faut les inviter. En juillet, on peut faire une grillade. Je veux voir Eric et Sandrine.

Un coup de fil, Eric et Sandrine acceptent avec plaisir de nous rendre visite dans notre nouvelle maison pour manger et papoter. La date retenue est le 10 juillet.

Nicolas se réjouit. Durant tout le mois de juin, il nous a rappelé qu'Eric et Sandrine viendront le 10 juillet. Il nous a rappelé de les mettre sur son planning mensuel. Le 9, au coucher, il a dit avec le sourire que demain, Eric et Sandrine viendront chez nous.

Ce matin, Nicolas s'est réveillé. Ses premiers mots furent C'est aujourd'hui qu'ils viennent, Eric et Sandrine? Je confirme que c'est bien le 10. 

NON, JE NE VEUX PAS QU'ILS VIENNENT!
Mais, Nicolas, c'est toi qui les a invités...
NOOOON! Je ne veux pas dire bonjour.

Le temps est splendide, nous préparons donc les extérieurs pour que Nicolas puisse bouger pendant la visite d'Eric et Sandrine. Nicolas, lui, s'enferme dans sa chambre par peur de croiser les invités.

11h30, nos visites arrivent. On se dit bonjour, on fait visiter la maison sous les cris venant de l'étage : JE NE VEUX PAS DIRE BONJOUR! Je veux dire au revoir! 
Sympa l'accueil...

Apéro, grillades... Nicolas ne veut pas venir manger avec nous. On le laisse tranquille. Vers 13h30, la faim le pousse vers nous. Nous lui donnons l'assiette que nous lui avons préparé. Nicolas part en courant et va manger à l'intérieur.

Vers 14h30, Nicolas nous rejoint. 
Vous avez mangé? Alors vous pouvez partir! Au revoir!
Eric et Sandrine rigolent. Nous devons d'abord manger le dessert.
NOOOOON! Je ne veux pas le dessert! Il repart se cacher dans sa chambre.

Vers 16h00, Eric et Sandrine sont prêts à partir. Nous appelons Nicolas pour qu'il puisse dire au revoir.
Ah, vous partez? Mais je veux jouer avec Sandrine!
Sandrine est d'accord, Nicolas joue pendant 5 minutes avec elle puis repart dans sa chambre. 
Ce n'est pas évident pour lui de jouer avec quelqu'un qu'il connaît à peine... 
Ce n'est pas évident pour lui de jouer avec quelqu'un tout court!

Nos invités partent donc. Ca fait du bien de revoir du monde!

Nicolas, lui, décompense. Sa frustration, le changement, les nouvelles personnes... tout doit sortir. Nous allons le payer tout le dimanche. Et le début de semaine sera compliqué aussi. Mais nous sommes contents d'avoir revu nos amis.

Samedi prochain, Alex et Susanne viendront chez nous. Nicolas a voulu les inviter...

vendredi 30 avril 2021

130. Dès qu'on pense

Le texte suivant n'engage que moi en tant que papa d'autistes. Je suis ni médecin ni pharmacien, mais c'est du vécu !


J'ai choisi ce titre « Dès qu'on pense » pour cette publication mais je vais parler de décompense. Phonétiquement, c’est presque juste.

Depuis quelques semaines, Nicolas est en pleine décompensation. Et nous, toute la famille, on déguste ! Alors, s'il y a des parents qui vivent une situation similaire avec leur petit : pensez-y !


Lorsque Nicolas avait deux ans, un pédopsychiatre a prescrit de la risperidone à notre fils. Il nous a conseillé de l'avoir en réserve, bien avant d'avoir posé un diagnostic, parce que Nicolas était très agité. Nous avons acheté une bouteille haute de 4 ou 5 centimètres. Le carton aurait pu contenir un litre de liquide parce qu'il contenait aussi la notice qui listait les effets secondaires de ce médicament. Il s'agit d'un neuroleptique, un médicament qui influence directement le système nerveux pour le calmer. Nous avons jeté la bouteille après la date de péremption sans en avoir donné à Nicolas.

Vers trois ans et demi, après avoir trouvé une pédopsychiatre qui a gagné notre entière confiance, nous avons commencé à donner ce médicament à raison de 0,25 ml deux fois par jour. Le quotidien était trop difficile, et il paraît que la risperidone est fréquemment administrée aux autistes et aux enfants très vifs.

Un demi mililitre par jour, ou un litre en six ans, c'est une dose minime... mais le patient qui en prend était minime aussi. C'est vrai que Nicolas s'est calmé, mais l'agitation était toujours très présente. La ritaline a fait une brève apparition mais nous l'avons rapidement stoppée, préférant un enfant superagité à un enfant absent.

Nicolas prend donc de la risperidone depuis plus de cinq ans. A petites doses, mais il en prend. A chaque période difficile, on nous conseille de doubler les doses pendant quelques semaines pour l'aider à passer ces moments durs. Nous ne l'avons jamais augmenté, notre but était de le débarrasser de ce médicament qui met du temps à pouvoir être stoppé.

Depuis quelques mois, nous nous sommes éloignés de tout médicament "classique". Entre l'arthrite juvénile et alléger son quotidien de TSA, Nicolas arrivait à une vingtaine de doses différentes par jour sans vraiment aller mieux. Nous avons tout stoppé pour lui donner des produits naturels à base de CBD, du cannabis médical, en toute transparence avec tous nos thérapeutes, y compris les médecins du CHUV qui n'y croient pas.

Le CBD a réussi à remplacer presque tous les médicaments. Les derniers clichés des articulations sont meilleurs que ceux quand Nicolas buvait des anti-inflammatoires à hautes doses. Il n'a donc plus besoin de filtres gastriques non plus, il dort sans mélatonine, substance qui l'a accompagné depuis six ans. C'est top !

Mais : nous n'arrivons pas à nous débarrasser de la risperidone ! Nous avons réduit la dose d’un quart. La réaction fut imminente, le lendemain déjà Nicolas partait en vrille! Il a mis des semaines à se normaliser. Il a arrêté de dormir seul dans sa chambre, il a peur des fantômes depuis...

Idem lors du passage à la moitié quelques mois plus tard. Contractions musculaires, déstabilisation psychique totale. C'est incroyable ce qu'une goute de liquide peut provoquer comme réaction quand elle n'est plus là. 

Nicolas décompense, il se décompose. Il paraît que ça peut même provoquer des hallucinations, et je pense bien qu'il en a. Les fantômes doivent bien venir de quelque part.

Ado, j'ai lu le livre "Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée". Elle a décrit en détail comment le manque d'héroïne se répercute sur l'être humain, cela m'a marqué. La désintoxication doit ressembler à l'enfer !

En voyant les réactions de Nicolas suite à la réduction des doses de risperidone, j'ai pensé à Christiane F et son enfer de la drogue. Ces prochaines semaines, Nicolas devra donc affronter les diables pour se sevrer de cette molécule. Nous le supporterons, nous l'accompagnerons. Période difficile !


Ce qui me choque : La risperidone est un médicament autorisé et remboursé par les caisses maladie. Ca rend addictif et dépendant, notre système de santé en subira des coûts pendant des décennies parce qu'il est prescrit en masse.

Nos traitements à base de CBD nous coutent quelques centaines de francs par mois et ne sont pas pris en charge par les caisses. Ils ne rendent pas dépendants mais, surtout, ils fonctionnent.

Alors, les autorités et les politiques, c'est pour quand le changement?

« Dès qu'on pense... »

Et vous, parents d'autistes qui me lisez. Réflechissez deux fois avant de donner la risperidone à votre enfant, même si le quotidien est insupportable. 



jeudi 1 avril 2021

129. Boum!

Nicolas grandit, Nicolas se développe bien, Nicolas fait des grands progrès. C’est super ! Le déménagement dans un canton où il peut aller à l’école lui fait du bien !

« Mais ce que votre fils est sage ! »

« Il a fait des grands progrès ces derniers mois ! »

« Je ne l’ai pas reconnu, tellement il a changé en bien depuis la dernière fois ! »

Que ce soit sa maitresse, des amis, l’ergothérapeute, la dentiste ou la voisine, tout le monde en a plein des louanges pour notre fils. On pourrait presque croire qu’il n’est plus autiste…

Mais détrompez-vous ! On naît autiste, et jusqu’à preuve du contraire, on meurt autiste. Et nous nous rendons compte tous les jours que Nicolas est bien autiste.

Nicolas se contient. Il respecte les règles imposées. Il absorbe tout comme une éponge, et il retient tout ce qu’il a absorbé. Et il se retient…

Pendant les heures de cours à l’école, on ne parle pas ; on écoute, on travaille.

A la récréation, les enfants sortent, courent, crient. Nicolas le sait même s’il ne supporte pas ce bruit. C’est comme ça.

Après la pause, c’est de nouveau le silence et la concentration.

A la fin du cours, quand la cloche sonne, les enfants courent dehors en criant.

Nicolas rentre à pied avec sa maman. Il est courageux, il se retient.

Dès qu’il a franchi le pas de porte à la maison, Nicolas explose. Il tape sur les meubles, il crie, il court dans la maison. Toute l’énergie qui s’est accumulée en lui, qu’il a retenu en lui, tout doit sortir. Vous ne vous rendez pas compte ce que ceci signifie. Pour nous qui habitons avec Nicolas, c’est comme l’effet de détonation d’une bombe. Et boum !

 

Idem lorsque nous avons des invités. Cela n’arrive pas trop souvent avec ce sale virus qui traine, mais nous estimons avoir droit à une vie de temps en temps tout en assumant les conséquences.

Nous prévenons Nicolas des invités lorsque nous lui présentons son planning mensuel. Il sait que cela fait partie du mois en cours, et il en parle tous les jours. Oui, nous planifions les visites de mai en avril. 

La veille de la visite, Nicolas commence à monter les tours : « Je ne dis pas bonjour ! », « Je ne veux pas manger avec eux ! », « Ils vont partir après avoir mangé ! »

Lors de l’arrivée de nos invités, il s’isole dans sa chambre.

Il mange dans un coin loin de nous.

Après le repas, il dit aux invités qu’ils peuvent partir parce qu’ils ont fini de manger. 

Dès que nos invités ont franchi le pas de la porte, la sirène se met en marche à 120 décibels : « Iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ! » En fait, c’est Nicolas qui crie parce qu’il doit laisser sortir tout ce qu’il a accumulé en lui ces dernières heures. Une situation en dehors de la normalité, des gens qui ne font pas partie de notre maison et probablement un repas qui a duré trop longtemps, tout cela l’a trop stressé.

Après la sirène, c’est l’explosion : Boum !

Maman ou papa fera office de démineur chez Nicolas pendant que l’autre range la cuisine…


La semaine passée, nous avons été au CHUV pour voir le développement de son arthrite juvénile. Je tiens à préciser que l’équipe du CHUV est extraordinaire : A chaque contrôle, Nicolas dispose du même box au onzième étage. Nous pouvons y aller avec notre chien d’accompagnement, rare sont les attentes supérieures à cinq minutes même en période de Covid. Bravo !

La dernière fois par contre, ils avaient du retard parce qu’un médecin était malade. Du coup, tous les boxes étaient occupés et nous avons dû patienter quelques minutes à la réception avant de poursuivre l’attente dans un box. Nous avons dit à Nicolas que tout allait rentrer dans l’ordre sous peu, mais on a pu apercevoir sur son visage qu’il en souffrait. Dès que nous avons pu entrer dans le box, Nicolas a tout lâché. Le stress de l’hôpital, mais surtout le fait que ça se passe autrement que d’habitude, tout cela l’a poussé au-delà de ses limites. Des cris, des pleurs…

Et là, quelque chose d’inattendu arriva : La doctoresse est venue tout de suite pour la consultation parce qu’elle connait bien Nicolas. Du coup, elle s’est rendue compte que c’était compliqué. Elle n’a pas dit « oh ce qu’il est sage » ou « quel gentil garçon qui grandit » ou quelque chose de ce genre.

Un être humain autre que papa, maman ou ses frères s’est rendu compte de la difficulté de la situation. Même si elle n’a rien pu changer, cela fait du bien !



jeudi 21 janvier 2021

128. La seule chose qui ne change pas...

La seule chose qui ne change pas est le changement. Cette citation d'Héraclite m'accompagne depuis longtemps dans ma vie d'adulte. Mais je viens de réaliser que c'est faux!

L'année 2020 était truffée de changements chez nous. Entre le déménagement, la nouvelle école et toutes les nouvelles thérapeutes, tout cela en période de Covid et confinement, Nicolas a eu droit à sa dose de modifications. 

Il gère comme un chef! Il grandit, il se développe, il apprend, il devient plus indépendant. C'est très intéressant pour nous de l'observer, de constater sa progression. Il lit les textes qui lui tombent sous les yeux, il écrit plein de choses sur ses tableaux blancs qui se trouvent à de nombreux endroits dans notre maison. Depuis notre déménagement en juillet, il a beaucoup changé.

Nicolas s'ouvre, il joue. Il est joyeux, il a de l'humour et il rigole beaucoup. Mais... il n'aime pas le changement. 

En effet, Nicolas a beaucoup de peine avec tout ce qui n'était pas prévu. Il devient très lunatique, il se fâche, il est frustré. Ses humeurs changent rapidement. Comment gérer ses comportements-défis?

Nous faisons tout ce qui est dans nos possibilités pour lui faciliter le quotidien, pour qu'il n'y ait qu'un minimum d'imprévus. Mais tout ne peut pas être programmé.

Il suffit d'une sonnerie à la porte ou d'un chien qui aboie (même le notre), et sa bonne humeur disparait. Un bébé qui pleure dans la rue, un jeu qui doit s'interrompre parce que c'est leur du repas, la séance de logopédie déplacée à jeudi, un nouveau médicament qu'il n'aime pas... et Nicolas part en vrille! Il monte les tours, il crie, il tape contre le mur ou une fenêtre. Nous le surveillons en permanence pour qu'il ne s'auto-mutile pas lors de ces moments.

L'automutilation est courante chez les autistes. 
Bébé, il fallait "juste" le surveiller et lui tenir les petites mains lorsqu'il se fâchait. 
Petit garçon, Nicolas ne se tapait presque plus. En fait, il était tellement dans sa bulle que probablement il ne réalisait presque pas ce qui se passait autour de lui.
Là, avec la grande ouverture sur le monde qu'il vit, c'est de nouveau plus difficile d'accepter ce qui se passe autour de lui. 

Plus que Nicolas grandit, plus je constate des traits autistiques chez lui. Quand il était plus petit, certaines choses comme des cris ou des crises passaient comme "nomales" pour un enfant de son âge. A huit ans, Nicolas est assez grand pour que les gens remarquent que quelque chose est différent chez notre enfant. Nicolas a beau faire des progrès, se développer, devenir plus indépendant... il restera autiste toute sa vie!

Donc: 
Les seules choses qui ne changent pas sont le changement... et le fait d'être autiste.