vendredi 29 novembre 2019

100. Dormir

Le corps humain a besoin de manger, de boire et de se reposer.

Il paraît qu'à Guantanamo, les gardiens de prison ont privé les prisonniers de sommeil, ce que ces derniers ont trouvé pire que le fait de ne pas pouvoir s'alimenter comme il faut.

Les personnes avec un TSA (trouble du spectre autistique) ont régulièrement des troubles du sommeil. Leur corps ne produit pas ou pas assez de mélatonine (l’hormone du sommeil). Nous avons posé la question à plusieurs spécialistes, mais personne ne semble connaître les raisons. C'est ainsi et pas autrement.



Lorsqu’il était bébé, bien avant qu’on ait obtenu un diagnostic, Nicolas dormait cinq à six heures. Non, pas cinq heures par nuit, cinq heures sur la journée. Style de 1h00 à 3h00, de 8h30 à 10h00 puis de 17h00 à 18h30! Tous les jours, les horaires changeaient, il n’avait aucun rythme. Quand il n’en pouvait plus, Nicolas s’endormait. Au bout de deux-trois heures, la machine s’était reposée pour tourner à fond pendant cinq ou sept heures.


C’était une période affreuse! Nous étions en souci pour notre enfant qui ne dormait pas. C'était difficile de planifier quoique ce soit, même un repas ou une promenade. Et nous étions crevé par un rythme intenable.

De plus, nous avions une famille à gérer. Les deux frères à Nicolas avaient moins de dix ans et besoin qu'on s'occupe d'eux. Il fallait aussi assurer un salaire tous les mois. Je ne pouvais pas appeler mon chef le matin pour dire que je ne viendrai pas travailler parce que je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit.

Avec mon épouse, nous nous sommes relayés pour garder Nicolas et ses frères. C'était du 24/24, 7/7. J'ai essayé d'assurer la première moitié de la nuit et les week-ends. J'ai dormi la deuxième moitié de la nuit et durant le voyage en train pour aller au travail. Le week-end, il fallait remplir les accus pour tenir la semaine. Il nous est arrivé de dormir une heure par terre en pleine journée, à côté de Nicolas, lorsque celui-ci s'était endormi.

Les médecins disaient qu'ils ne pouvaient rien faire. Des rigolos ont dit qu'il fallait donner de l'abricotine à Nicolas pour qu'il dorme. D'autres gens ont suggéré qu'il fallait le laisser crier jusqu'à ce qu'il s'endorme. Nous l'avons laissé crier, mais il ne s'endormait pas. Nous avons suivi d'autres conseils et donné des thés, infusions, crèmes, gouttes homéopathiques etc. à Nicolas. Ca n'a servi à rien.

Je ne sais pas comment nous avons fait pour tenir. Mais nous avons tenu! Nous avons résisté physiquement à ces années pénibles, et le couple s'est même renforcé parce que nous n'avons pu compter que sur l'autre.

Lors de notre première visite chez la pédopsychiatre de Lausanne, celle-ci nous a prescrit de la mélatonine. Oui, elle nous a permis d'accéder à cette hormone du sommeil, produite artificiellement, qui existe en libre accès dans de nombreux autres pays. Et elle nous a félicité d'avoir tenu toutes ces années, elle a même dit que ce n'était pas humain ce que nous venons de vivre pendant des années. Cela a fait du bien!

Pourquoi l'autre pédopsychiatre (le premier, celui qui a mis plus d'une année à poser un diagnostic) ne nous a jamais prescrit de la mélatonine? Pourquoi les médecins ne nous ont jamais parlé de ça?
"Parce qu'on ne donne pas des médicaments pour dormir à un bébé. Il doit apprendre à s'adapter."
Aujourd'hui, je dirais que primo, ce n'est pas un médicament (c'est une hormone) et que secondo, un autiste n'arrive pas à s'adapter à cet âge-là.

Depuis trois ans environ, Nicolas dort en général de 20h00 à 6h00 environ. Comme un enfant de sept ans. 
Une nuit par mois, il s’agite et se lève vers deux heures du matin pour jouer, sans se recoucher avant d’aller à l’école. On dirait qu’il doit de temps en temps revivre sa période antérieure. Non, nous n’arrivons pas à prédire quand cela arrive, rien ne nous y prépare.

L’autre jour, un collègue était choqué parce que nous mettons notre fils de sept ans sous médication pour dormir.

En bon Suisse, je lui ai répondu:  C’est pour lui. Dormir, c’est bon pour la santé! 

Et c’est vrai: Depuis que Nicolas dort mieux, je dors mieux (même le soir devant la télé), je me sens mieux!


PS: Si vous connaissez quelqu’un qui vit quelque chose de similaire, dites leur d’insister pour obtenir une ordonnance pour de la mélatonine.
Si le médecin refuse, qu’ils traversent la frontière pour acheter ceci en libre-accès en France par exemple. Il faut 0,1 mg par kilo de l’enfant, 30 minutes avant le coucher (un enfant de 10 kg prendra donc 1 milligramme), sous forme liquide ou mélangé dans un yogourt.



jeudi 14 novembre 2019

99. Okay?

Si vous avez plus de 40 ans, vous connaissez certainement ce film et vous rappelez peut-être de cette scène surréaliste (et bête). Tellement stupide pour qu'elle reste incrustée dans ma mémoire.




Dans l'adaptation française du film "Airplane!" (Y a-t-il un pilote dans l'avion?), le commandant de bord Havoux et pilote Roger sont prêts pour le décollage de leur avion pour Chicago. Le navigateur Victor se trouve à l'arrière-plan à la radio. S'en suit la communication radio avec la tour de contrôle. 

Comme la communication radio est une communication unilatérale, la personne qui reçoit confirme la réception du message par "Rodgeur". Quand on a fini de parler on libère le réseau avec un "à vous". Ajoutez Victor qui calcule le vecteur et une portion de bêtise humaine pour arriver à cette scène...

Quand on parle à un enfant autiste, il y a aussi des communications unilatérales. Je parle à Nicolas mais je ne sais pas s'il m'a entendu ou s'il a réalisé que je lui ai parlé. Cela peut être frustrant de parler dans le vide, surtout si on ne s'en aperçoit pas.

A l'institut, les professionnels qui ont beaucoup plus d'expérience que moi et qui sont formés pour travailler avec des autistes semblent avoir introduit un langage similaire. Au lieu d'arrêter la phrase avec "à vous" et reprendre avec "Rodgeur", ils demandent "okay?" et confirment par "okay!" L'intonation n'est pas la même. 

Les éducateur ne m'ont pas dit qu'ils procèdent ainsi. Nicolas est un livre ouvert et reprend ces habitudes à la maison.

Nicolas joue avec ses figurines:
- "Sophie, tu vas prendre un bain, OK?" "OK!"
- "Henry, tu fais de la lecture, OK?" "OK!"
- "Marcus, tu prends le train. OK?" "OK!"
- "Peppa, tu manges le jambon, OK?" "OK!"
   (l'histoire avec Peppa et le jambon, ça vient de lui...)

Idem avec nous:
- "Maman, je veux manger des spaghettis. OK?" 
  "Non, aujourd'hui on mange un risotto."
  "OK, je mange du risotto."
- "Papa, tu vas te mettre en training. OK?"
  "D'accord, je me mets en training."
  "OK."

Quand on écoute ces communications, on doit passer pour des débiles. Je m'en fiche. C'est une façon de communiquer où on peut vérifier si l'autre a compris ce que l'on vient de dire. 

- "Nicolas, c'est l'heure d'aller au lit."   Pas de réponse...
  "C'est l'heure d'aller dormir!"   Pas de réponse...
  "Il faut aller au lit. OK?"   Ce dernier mot déclenche la réaction.
  "Non, je veux encore jouer! Je ne suis pas fatigué!"
  "Encore deux minutes. OK?"
  "OK." Quelques minutes plus tard, Nicolas va se coucher.

Dans le monde actuel, on devrait des fois instaurer les mêmes règles pour être sûr que le message arrive... ou comme quoi nous avons bien reçu le message.

Okay?

vendredi 8 novembre 2019

98. Cadeau et gâteau, quel fardeau!


En septembre, les grandes surfaces rangent les affaires d'été pour sortir les décorations de Noël, et le facteur amène les catalogues de jouets à tous les ménages. 2019, c'est la première année où Nicolas a attentivement scruté ces cahiers remplis de photos de jouets, et à notre demande il a même encerclé ceux qu'il voudrait recevoir. Si d'autres enfants entourent 200 jouets, Nicolas en a choisi deux!

Mon épouse a donc acheté deux cadeaux avant que le stock soit en rupture et caché le tout dans la cachette secrète que seul le Père Noël et nous connaissons.

En novembre, c'est la période des anniversaires chez nous! Rien que dans notre petite famille, nous fêtons trois anniversaires en huit jours! Nicolas vient d'avoir sept ans. Quel grand garçon!

Si vous suivez ce blog depuis assez longtemps, vous savez que Nicolas est "allergique" aux gâteaux d'anniversaire et aux chants d'anniversaire ou de Noël. Jusqu'à l'année passée, il ne supportait même pas les cadeaux. Aujourd'hui encore, il doit savoir ce qu'il y a dans le paquet avant d'être capable d'ouvrir un cadeau.

Nous avons donc invité une amie de la famille dimanche pour fêter les trois anniversaires en une seule fois. Ce n'était pas forcément pour Nicolas, il n'y avait pas excessivement de personnes à table. Mais c'était spécial d'avoir une invitée.

Et là, je m'aperçois que Nicolas grandit. Il sait que c'est (presque) son anniversaire, il sait qu'il aura droit à un cadeau, il choisit donc celui qu'il a marqué dans le catalogue qui en fait est destiné au Père Noël. Il a réalisé que le petit carton déposé par une voisine ne pouvait pas contenir la maison de Peppa Pig, il n'a même pas voulu l'ouvrir. Ni les cartes, ni rien. Avant le dessert, nous avons donc dû discrètement vider la cachette du Père Noël (qu'il faudra de nouveau remplir avant le 24 décembre) pour que Nicolas soit content.

Pour maintenir les traditions (et peut-être pour sortir notre fils un peu de sa zone de confort), nous avons servi le dessert qui n'avait pas de bougies posées dessus. Ce n'était pas un gâteau d'anniversaire. Néanmoins, notre invitée a spontanément entamé la chanson "Joyeux anniversaire" durant trois secondes... 

Effectivement, Nicolas est sorti de sa zone de confort, il est parti en crise... et en cris dans sa chambre! Il y est resté plus d'une heure, même si son cadeau l'attendait. Nicolas n'était simplement pas capable de retourner dans le salon. Ce qui dérange (la chanson, le gâteau) était bien plus fort que ce qui l'attire (le cadeau).

C'est à ce moment que je réalise une fois de plus: Même s'il grandit et qu'il fait des grands progrès, Nicolas reste autiste. Il le restera toute sa vie. Le moindre imprévu, une routine qui change, quelque chose qui sort de l'ordinaire, c'est et cela restera très difficile à gérer.

Bon anniversaire, mon grand garçon! Heureusement que tu n'as qu'une fois par année ton anniversaire...