jeudi 31 octobre 2019

97. Râleur!

Je suis un râleur. Je ne fais que me plaindre dans mes blogs, et il n’y a que du négatif dans mes récentes activités sur les réseaux sociaux, comme ce courrier des lecteurs. Ce n’est pas en se plaignant que les choses iront mieux. Il faudrait que je sois content avec ce que nous avons en Suisse, c’est quand même mieux que ce que d’autres pays proposent.

Je suis donc un râleur. Ceci a été dit par une personne qui n’a pas d’enfant autiste. J’en prends note. Elle a certainement raison. Personne ne pourra me reprocher d’être méchant, menteur ou malicieux, ni radin ni égoïste ni égocentrique. Je ne bats pas ma femme, je ne la trompe pas non plus, je passe du temps avec mes enfants. Je suis ni un pervers-narcissique ni une brute. Mais je suis un râleur.

Je râle, donc je suis ? Pas du tout ! Avant de râler, je m’assure que mes enfants vont bien.

Si je râle, c’est pour la bonne cause, ou plutôt pour la cause de l’autisme. Je pense que la qualité de vie à Nicolas a pu s’améliorer ces dernières années parce que ma femme et moi râlons. Si Nicolas a été le premier enfant de l’institut à pouvoir suivre une intégration partielle dans la scolarité « normale », c’est parce que nous avons râlé. Et si cette intégration se passe bien, c’est parce nous ne laissons plus rien passer, qu’on intervient dès que cela s’avère nécessaire.

Tous les deux, on assume si nous passons pour des parents pénibles. En attendant, plusieurs professionnels nous ont confirmé que ceci est bien, qu’ils ont plaisir s’il y a des parents qui s’impliquent. A croire qu’il y a d’autres papas et mamans qui pourraient faire plus pour se faire entendre.

Si je râle, c’est que j’en ai juste marre que les autorités et les administrations nous promettent régulièrement des choses, mais que rien ne bouge. Le Conseil fédéral a décidé en octobre 2018 que les personnes autistes doivent pouvoir fréquenter l’école et apprendre un métier. A Fribourg, ils l’ont confirmé, il y a zéro franc de budget pour la cause de l’autisme jusqu’en 2023. Comment améliorer la prise en charge, l’intégration, sans avoir le moindre sou à disposition ?

Si avant ma naissance quelqu’un m’a donné une mission à accomplir sur cette terre, ça a été de faire changer quelque chose pour la cause de l’autisme en Suisse Romande, à commencer par Fribourg. Je continuerai à écrire des tribunes libres, d’autres lettres au Conseil d’Etat suivront. Un jour, il y aura un résultat.

Mes messages n’ont pas l’envergure de ceux d’une Greta Thunberg. Mais d'après les échos que je reçois, je sais que tout ce que je dis ne se perd pas dans les immenses couloirs de l’administration.

Je continuerai donc de râler pour la bonne cause tant que j’aurai l’énergie.

Et vous, c’est quoi votre défaut ?




vendredi 18 octobre 2019

96. L'empire du papier plastifié

Quand le soleil se couche et les petits enfants dorment, ils entrent en action: Fanfan l’imprimatrice et Matt le laminateur regroupent leurs forces pour le bien de leur peuple.

L’imprimatrice recherche des images dans sa photothèque et sur Google, les assemble, crée des tableaux et des suites plus ou moins logiques. Elle imprime le tout sur son imprimante. C'est à ce moment que le laminateur entre en jeu : Il découpe le tout dans le bon format, l’emballe dans des pochettes et passe plastic par plastic dans la lamineuse.

Le résultat? Des beaux pictogrammes, des déroulements, des scénarios sociaux ou des petits classeurs qui permettent au peuple - Nicolas - de feuilleter, regarder, anticiper et se réjouir de ce qui l’attend... et surtout à éviter des crises dues aux imprévus.


Il y en a pour tous les goûts : Des petits, des grands, en couleur ou en noir et blanc. Les seules limites sont les gros doigts du laminateur qui ne permettent pas d'aller trop dans le détail, ainsi que la taille de l'imprimante. L'imprimatrice, elle, ne connaît pas de limites!

Au début, après avoir reçu une douzaine de pictogrammes du jardin éducatif spécialisé, ils ont hésité à investir dans du matériel. Est-ce que le "peuple" a vraiment besoin de ces supports visuels? Ou est-ce l’argent jeté par les fenêtres?

Les réponses étaient vite trouvées: 
- Oui, le "peuple" en a besoin. Cela lui permet de se préparer à son quotidien, moment après moment, jour après jour, mois après mois.
- Non, ce n'est pas du gaspillage d'argent. Mais n'en parlez surtout pas à Greta et sa clique, ils feraient une crise cardiaque en voyant la masse de papier et de plastic utilisé pour le "bien du peuple"...

Actuellement, les pictogrammes et photos remplissent 3 boîtes afin d'être prêt à (presque) toutes les situations. Sans parler des pictos laissés délibérément au "peuple" pour s'amuser.

Le parc matériel aussi s’est agrandi et professionnalisé. L’imprimante à jet d’encre a fait place à une laser couleur. Les pochettes en plastic sont disponibles dans de nombreux formats. Les ciseaux ont été remplacés par des coupe-papiers avec une grosse lame qui fait presque peur. Dernière acquisition, des perforatrices pour arrondir les angles... cela existe pour de vrai!

Donc, quand le soleil se couche et le "peuple" dort, les parents normaux allument la télé. L'imprimatrice et le laminateur, eux, se rappellent qu'il faut encore plastifier la photo de la nouvelle stagiaire à l'école demain, changer le planning mensuel parce qu'un rendez-vous médical s'est greffé dessus le 15 et aussi imprimer une photo de la nouvelle aire de jeux au centre commercial. 

Quand le soleil se lève et les petits enfants se réveillent, l'imprimatrice et le laminateur viennent de se coucher...

vendredi 4 octobre 2019

95. Souffrances?

Dans beaucoup de livres qui traitent le sujet de l’autisme, les auteurs ne parlent pas d’ « autistes » quand ils décrivent les personnes. Souvent, ils parlent de « personnes avec autisme » ou de « personnes souffrant d’autisme ». C’est certainement une forme plus polie d’écrire que la mienne, de plus ce sont des professionnels qui rédigent ces livres, ils sont bien plus instruits que moi!


Même en ayant lu ceci un millier de fois, je me pose à chaque fois la question en lisant ces passages: Est-ce une mauvaise traduction? Est-ce que la personne avec autisme en souffre vraiment?

Nicolas est un enfant de sept ans extrêmement souriant. Quand il joue, et cela arrive très souvent, il est heureux! Je n’ai pas le souvenir d’avoir vu d’autres enfants dans sa tranche d’âge qui manifestent le même plaisir en jouant. Il est dans son monde - dans son spectre - et il y est heureux tant que rien et personne ne le dérange.

Certes, il y a des moments difficiles, par exemple quand quelque chose ne se passe pas comme Nicolas le pense. Une figurine qui ne tient pas debout, une étiquette du nouveau t-shirt qui chatouille sa nuque, une visite inattendue qui sonne à la porte... ce sont des énormes frustrations et des moments difficiles! Mais est-ce que d'autres enfants de sept ans n'ont pas aussi leurs moments de frustration?

Afin de réduire ces situations compliquées, nous essayons de planifier au mieux chaque journée, de couper les étiquettes... je dirai même qu’on fait attention en achetant un nouveau jouet qu’il soit stable quand on le pose par terre.

Ces préparatifs et cette rigueur permettent probablement à Nicolas de moins souffrir de son autisme.

D’accord, il est petit et il ne connaît rien d’autre que son état. Je présume donc qu'il n'en souffre pas parce qu’il ne connaît rien d’autre. Jusqu’à présent, ce sont surtout les parents qui souffrent... Pourtant, les auteurs des livres ne parlent jamais de « papa ou maman souffrant d’un enfant autiste ».

Après avoir discuté avec des adultes avec le syndrome Asperger et lu quelques livres, j’émets ma théorie sur le sujet - sans aucune prétention d’être scientifique ni exhaustive ni complément juste: 

Il y a trois types de personnes avec autisme :
- ceux qui n’en souffrent pas (encore),
- ceux qui effectivement en souffrent, et
- ceux qui n’en souffrent plus.

Explication : Durant son parcours de vie, l’autiste se rend compte de sa différence. Il s'agit là d'une « deuxième adolescence » qui a souvent lieu entre 25 et 35 ans, peut-être plus tard... peut-être pas du tout. 

La personne avec autisme se transforme d'un jeune qui est différent (qui peut en souffrir) pour devenir un adulte qui est différent. Après cette période de transition, la personne accepte la situation et peut construire quelque chose en se focalisant sur ses forces. Il arrive régulièrement qu’ils sont fiers d’être ceux qu’ils sont. Ils ont appris à s’organiser pour rendre leur quotidien plus viable, ils ont élaboré leurs stratégies pour faire face aux imprévus. Ce sont des êtres humains bien plus forts que les 99% des neurotypiques.

Je pense que cette « adolescence de l’autisme » aura lieu de plus en plus souvent. De nos jours, les universités forment de plus en plus de professionnels de l’autisme qui pourront les accompagner dans cette transition. Les parents ont des possibilités de formation qui n’existaient pas encore dix ou quinze ans en arrière, internet offre énormément de possibilités de se documenter et de communiquer, ce que la précédente génération n’a pas encore pu faire. Les nouveaux parents pourront coacher leurs enfants avec autisme.

Vous aussi, rien qu’en lisant mon blog de temps en temps, vous vous rappellerez de l’une ou l’autre astuce qui vous rendra service la prochaine fois que vous aurez une personne avec autisme en face de vous. Et si vous pensez que cela ne vous arrivera pas, détrompez-vous! Une personne sur cent a des troubles autistiques... même si elle n’en souffre pas!