mardi 30 juillet 2019

90. Etre père d'un enfant autiste atteint d'une arthrite juvénile, c'est...



Il y a une année et demie, j'ai répertorié ce qui se passe dans la vie quand vous êtes papa d'un autiste. En relisant mes propos d'antan, je constate que j'ai réussi à prendre du recul depuis... mais je n'effacerai aucun des points mentionnés de cette liste.

Depuis, Nicolas a développé une maladie auto-immune, une arthrite juvénile idiopathique. Un à deux enfants sur mille sont touchés par cette maladie. Je vous laisse imaginer que cela complique encore le quotidien déjà assez compliqué. Rien qu'en pensant au nombre de contrôles médicaux, qui ont lieu à une heure de route de chez nous et ne sont pas évidents parce qu’il faut déchiffrer les réactions d’un autiste qui ne répond pas forcément aux questions du médecin.

J'ai donc refait une liste de ce qui se passe en tant que père d'un enfant autiste atteint d'une arthrite juvénile:

1. Comme tout le monde connaît quelqu'un atteint d'une arthrose, vous expliquez régulièrement la différence entre arthrose et arthrite aux gens.
En fait, l'arthrose est un problème plutôt mécanique, une faiblesse du cartillage entourant l'articulation dû à l'usure (p.ex. vieillissement, surcharge), alors que l'arthrite est une inflammation de la membrane autour des articulations dû à une infection ou - dans le cas de Nicolas - une maladie auto-immune. L'organisme produit des liquides appelés quinines qui le détruisent et qui peuvent atteindre d'autres organes.

2. Quand l’enfant joue avec les Playmobile, d'autres figurines ou ses peluches, ceux-ci ont toujours mal quelque part. Leur activité principale consiste d'aller chez le docteur ou à l'hôpital.

3. Quand l'enfant vous appelle pendant qu'il joue, il vous appelle Docteur papa ou infirmière maman.

4. Dès que l’enfant marche un peu bizarrement, même s’il imite quelqu’un dans son jeu, vous l’observez pendant des heures pour voir si sa démarche est redevenue normale ou si ça pourrait être une nouvelle poussée d'arthrite.

5. Quand l'enfant (hyperactif par son autisme) se pose dix minutes, vous vous posez directement la question s'il a mal ou s'il est juste fatigué parce qu'il a couru pendant une heure.

6. Si l’enfant tombe sur ses genoux ou arrive à se retenir avec ses mains, vous vous imaginez tout de suite que l’articulation en question a lâché. Vous observez le moindre de ses mouvements durant le reste de la journée.

7. Quand vous vous rendez au CHUV (Centre hospitalier Universitaire Vaudois) pour un contrôle, vous ignorez les indications du GPS parce que vous savez mieux comment éviter le trafic, et bien sûr vous connaissez mieux les raccourcis que cet appareil. 

8. Vous pensez régulièrement qu'il faudrait habiter plus près d'un bon hôpital afin d'économiser du temps de trajet en cas d'urgence...

9. Vous pensez régulièrement qu'il aurait fallu faire des études en étant jeune et choisir un autre métier, comme p.ex. médecin ou pharmacien...

10. En parlant pharmacie : Vous entrez dans la pharmacie et tout le personnel vous connaît. Tous les employés qui passent vous saluent par votre nom.

11. Même catégorie : Vous cherchez un sac en plastic dans l’armoire de cuisine, et vous sortez forcément un sac de la pharmacie.

12. L’assurance-maladie vous appelle et vous propose de changer de modèle de soins pour vous faire économiser des primes (tout en sachant que c’est l’assurance qui économisera en prestations...)

13. Vous expliquez et réexpliquez les contraintes d’une vie avec une arthrite aux collaborateurs de l’assurance-invalidité en vous rappelant que ce sont les mêmes personnes qui, quelques années en arrière, ont dit qu’un enfant autiste ne demande pas plus de travail qu’un enfant normal.

14. Votre collègue se plaint parce que son fils a déclenché une otite ou sa fille a le mal de mer, et vous n'arrivez pas à avoir de la compassion pour eux.

15. Vous remerciez le ciel d'avoir un enfant comme Nicolas à chaque fois que vous voyez un enfant bien plus malade que le vôtre!



dimanche 21 juillet 2019

89. Comme d’habitude

Vous connaissez ce tube mondial de Claude François ? 

Je me lève, 
et je te bouscule, 
tu ne te réveilles pas, 
comme d’habitude...

La mélodie vous poursuit déjà? La chanson a fait le même tabac deux ans plus tard, reprise par Frank Sinatra, chantée en anglais "My Way" - à ma façon.

La version originale, celle de Claude François, n'est que partiellement juste... Quand Nicolas se lève, il me bouscule, je me réveille! Il a la douceur d’un trax, impossible de rester couché. 

A part cela, les personnes avec autisme font souvent "comme d’habitude". La routine les rassure, ça les calme. Elle permet souvent de ne pas surcharger un système nerveux déjà trop stimulé car hypersensible. Souvent, les autistes ont des sens beaucoup plus développés que d’autres personnes, que ce soit l’odorat, l’audition et/ou le tactile. Si ces personnes peuvent ne pas stimuler tous leurs sens juste parce qu’ils voudraient faire autrement, ils garderont leurs habitudes. Souvent, des routines sont installées afin de ne pas trop changer et charger le quotidien. Mêmes habits, même chemin pour aller au même endroit, même menu dans le même restaurant... Comme d’habitude!

Les vacances d’été sont arrivés. Même si cela arrive chaque année, ce n’est pas une habitude pour Nicolas. Les espaces temporels sont beaucoup trop éloignés pour que cela devienne une routine! Nous essayons donc de créer des rituels pour qu’il s’habitue: Lever, jouer, déjeuner, sortir, rentrer, dîner, jouer, sortir, rentrer, souper, jouer, regarder la tablette. Comme d’habitude ! Ce sont des vacances pour lui, pas pour maman ou papa qui s’en occupent.

Les jours avec un autre programme doivent être préparés, le déroulement et les lieux visités doivent être mis sur papier la veille. Pédopsychiatre, visite médicale, même une visite prévue d’un proche, ça passe assez bien maintenant grâce au papier. Quand c’est passé, Nicolas trace au feutre cette partie du déroulement quotidien et il se prépare mentalement à la prochaine étape. Pour retourner aux habitudes.

Quand nous avons de l'énergie et le courage, nous essayons de casser les habitudes pour le préparer au quotidien d'un être humain. Tout n'est pas prévisible, tout n'est pas pareil tous les jours. Ces changements à la routine demandent beaucoup d'adaptation et d'énergie à Nicolas et donc forcément à nous aussi.

Cette semaine, nous avons tenté le diable. Nicolas est parti quatre jours en colonie avec ses camarades et les éducateurs de l'internat. Avec mon épouse, nous avons vidé sa chambre, peint la pièce dans une couleur plus claire et changé les meubles. En enlevant la grande armoire, nous avons gagné de la place pour transférer des jouets du salon dans sa chambre. Bref, nous avons pu installer une vraie chambre de grand garçon pour Nicolas. 

Quelle sera la réaction? C'est quand même une atteinte grave à son espace intime. Nous avons certes prévenu Nicolas avant son départ qu'il aura une nouvelle chambre en rentrant des vacances, mais nous n'avons pas pu lui faire des photos de cette pièce qui n'existait pas encore avant son départ. Ce ne sera plus "comme d'habitude" à son retour!

Le retour justement était une bonne surprise! Nicolas fut enchanté lorsqu'il a découvert sa nouvelle chambre. Il analysait chaque coin de sa chambre, a ouvert tous les tiroirs tout en criant de joie "youpi! youpi!" Si avant, la chambre lui servait uniquement pour aller dormir, il a commencé à jouer dans cette pièce.

C'est un signe de plus qu'il se développe, qu'il est capable d'accepter le changement, et même de s'en réjouir! 

La chanson de Cloclo restera éternelle.
Nicolas aimera lui aussi toute sa vie les habitudes. 
La chanson s'est adaptée au bout de deux ans en anglais pour avoir encore plus de succès. 
Nicolas a aussi réussi à s'adapter, à avancer, à progresser lui aussi! 

I did it my way!