lundi 1 avril 2024

Oeil de lynx, cerveau d’éléphant

Il y a autant de formes d'autisme que d'autistes. Cette phrase, je l'entends régulièrement, et pas seulement le 2 avril, journée mondiale de l'autisme. Ce n'est pas parce que vous connaissez un autiste que vous pouvez transférer ses forces et capacités à tous les autres.

Lorsque le diagnostic à Nicolas est tombé, nous ne savions pas comment son autisme allait influencer sa vie... ni la notre ! Sera-t-il un génie qui révolutionnera le monde ou plutôt quelqu'un qui allait passer ses journées à charge de ses parents (comme des ados...) ? Et même aujourd'hui, neuf ans après son diagnostic, nous ne savons toujours pas de quoi son avenir sera fait.

Je sais qu'il maîtrise les calendriers comme s’il s’appelait Outlook, je sais également qu'il est à l'aise avec des gens comme un poisson... à l'air frais. Non, la socialisation, ce n'est pas son dada.

On nous a expliqué, il y a quelques années, que quelques autistes avaient une mémoire photographique extraordinaire. Certaines armées se servaient de ces personnes TSA pour interpréter les images satellites. Les capacités d'analyses de ces soldats étaient supérieures à l'intelligence artificielle pour observer et analyser les mouvements des troupes adverses.

Depuis quelques semaines, je réalise que Nicolas semble avoir la même capacité. Explications :

Nous avons permis à Nicolas de squatter la table basse du salon. C'est le seul endroit en dehors de sa chambre où il peut déposer des jouets sans les ranger, les autres pièces doivent être libérées lorsqu'il a terminé son jeu. Nicolas a donc déposé sa prison Playmobil reçue en 2021 ainsi que quelques figurines. Par "quelques", je précise qu'il y en a à peu près soixante : Les gardiens de prison bien sûr, mais également la Reine des Neiges, Obélix et quelques légionnaires romains, Capitaine América et les autres y passent leurs journées, que ce soit sous forme de lego, playmobil, surprises Kinder ou autres sortes de figurines.

Il m'arrive, le soir avant de me coucher, de faire une "rocade" entre la princesse Elsa et un Angry Bird ou de sortir John de sa cellule pour le laisser passer du temps avec les autres occupants. Lorsque je rentre du travail le lendemain, chacun a retrouvé sa place d'origine. Idem lorsque Spiderman aurait eu l'idée de se retourner... il se sera à nouveau dirigé vers le sud car, lui, n'est pas à l'ouest.

Il y a deux semaines, nous avons placé notre fils à la structure d'accueil le samedi soir, ceci afin de permettre à notre deuxième de fêter dignement ses 18 ans à la maison avec des potes. Pour qu'ils puissent profiter du salon, nous avons débarrassé la table basse, non sans l’avoir photographiée de TOUS les côtés, afin d'éviter un drame au retour de Nicolas en posant la moindre figurine au mauvais endroit.

Le dimanche, une fois la fête terminée, nous avons passé un long moment à recomposer le "puzzle" et placer chaque figurine au bon endroit. Pas si facile avec quatre photos... Es-tu sûr que ce bonhomme vert était bien sur la table? Il sort d'où cet oiseau? Tu savais que les prisonniers avaient des gobelets? Nous avons terminé au bout d'une heure, juste à temps pour aller chercher Nicolas et le ramener à la maison.

La routine du retour est toujours pareille : Nicolas enlève ses chaussures, sa veste, tous ses habits, il se met en pyjama et il se cache dans la chambre pendant environ trois quarts d'heure. Les retours sont difficiles, il a besoin de se ré-approprier les lieux. 

Ce jour-là, c'était différent. Nicolas passe la porte, il se dirige directement vers la table basse du salon. Il regarde... une seconde, deux secondes... trois secondes... 

Et pourtant, nous avons fait tout notre possible pour reconstruire la scène au détail près. 

Quatre secondes... ma vie entière défile devant moi. Est-ce qu'il allait hurler? Pleurer? Détruire tout ce qui se trouvait sur la table?

Les cinq secondes les plus longues de ma vie...

Puis Nicolas pose la question : "Pourquoi Astérix n'a plus sa gourde sur sa ceinture ?"


Je pense que ceci répondra aux prochaines questions de certains : "Vous êtes sûrs qu'il est autiste ?" Ou celles de l'assurance-invalidité : "Il est toujours autiste?"