vendredi 30 décembre 2022

145. Des rêves qui se réaliseront

2022 a filé à la même vitesse que Nicolas quand on lui demande de venir essuyer la vaisselle... c'est plutôt bon signe ! 

En cette fin d'année, avec un enfant comme Nicolas, on a tendance à suivre l'évolution d'une année à l'autre, par exemple en comparant les fêtes de Noël.

Noël 2017
Nicolas vient d'avoir cinq ans, il a commencé à parler depuis six semaines. L'entendre parler, c'était notre plus beau cadeau ! Les années précédentes, notre fils a hurlé devant le sapin de Noël lorsque nous avons ouvert les cadeaux. Pas d'invités, pas de famille... nous étions insupportables car épuisés et probablement insortables. 

Comme Nicolas a découvert la parole, il était capable de nous dire qu'il n'aimait pas les cadeaux. Mais comme nous étions des parents d'autiste inexpérimentés, nous avons pensé que tous les enfants aimaient recevoir des cadeaux. Nous avons insisté pour qu'il ouvre les siens le 25.

Des nouveaux jouets se sont empilés dans sa chambre, et il a joué avec certains d'entre eux en printemps ou en été.


Noël 2018
Nicolas parle comme un livre maintenant. Il nous a répété qu'il n'aimait pas les cadeaux, mais n'a pas su nous expliquer pourquoi. Nous n'avons donc pas mis de cadeaux sous le sapin, mais cela ne lui plaisait pas non plus. Un sapin sans cadeaux, même décoré, ce n'est pas un sapin de Noël. 

Nous avons quand même placé les cadeaux sous le sapin le soir du 24. Nicolas a refusé de les ouvrir. Toutes les boîtes emballées sont restées sous le sapin jusqu'au 3 ou 4 janvier. Après avoir rangé la décoration de Noël début janvier, Nicolas a reçu des nouveaux jouets avec lesquels il a joué.

Début janvier, la maîtresse d'école nous a demandé si nous avons aimé le cadeau de Nicolas. Quel cadeau ? Les biscuits de Noël qui étaient dans son sac d'école. Quels biscuits ? Cela explique les miettes dans sa chambre...


Noël 2019
Cette année, nous avons vu que Nicolas amenait un bricolage le dernier jour d'école. Nous lui avons précisé qu'il fallait le mettre sous le sapin et qu'on l'ouvre le 25. Je lui ai dit que j'aimais les biscuits de Noël, Nicolas m'a précisé que c'était un bricolage d'un bonhomme de neige.

Nous avons aussi placé les cadeaux sous le sapin le soir du 24 décembre. Au lever du 25, Nicolas était content de voir toutes ces boîtes. On l'avait préparé en amont, il savait qu'il allait ouvrir un cadeau par jour. 

Nicolas a apprécié chaque cadeau mais le fait de ne pas savoir ce qu'il allait découvrir l'a déstabilisé. On le voyait stressé chaque matin en ouvrant un emballage. Dès qu'il a vu ce qu'il y avait dedans, il a lâché la pression et joué avec le cadeau du jour.

Le 29 décembre, lorsque le dernier cadeau a été déballé, Nicolas nous a demandé de démonter le sapin. Comme il n'y avait plus de cadeaux, le sapin n'a plus lieu d'être.


Noël 2020
Cette année-là, le Père Noël a eu la bonne idée d'emballer les cadeaux et de coller une photo sur l'emballage pour que Nicolas sache ce qu'il y a dedans. En contrepartie, Nicolas nous a dévoilé qu'il y avait un bricolage de Père Noël dans son cadeau.

Nicolas a ouvert tous les cadeaux le 25 décembre. Il n'était ni stressé ni déstabilisé, tout s'est très bien passé. Lorsque le dernier cadeau était ouvert, Nicolas nous a demandé de démonter le sapin de Noël le 25 décembre déjà! Je vous rassure, nous avons résisté à ses demandes répétées d'enlever le sapin jusqu'au 2 janvier.


Noël 2021
Nicolas a mis son bricolage de Noël sous le sapin, tout en nous disant qu'il s'agissait d'un Père Noël.

Au lever du 25, vers 7h30, Nicolas a pris le plus grand carton et a enlevé l'emballage cadeau. Une prison Playmobil, son rêve ! Il a tellement joué avec ce jouet qu'il a presque oublié tous les autres cadeaux. Le sapin, lui a tenu le coup jusqu'à l'Epiphanie même sans cadeaux dessous.


Noël 2022
Le matin du 24, Nicolas nous amène un cadeau bien emballé. Nous l'avons mis sous le sapin mais il a été le rechercher. Il fallait que nous, maman et papa, l'ouvrons de suite. "La maîtresse a dit qu'il fallait l'ouvrir le 24" mais notre argument d'attendre le soir n'a pas été pris en considération. Le 24 c'est le 24 ! Nicolas n'a pas voulu dire ce qu'il y avait dedans, et il n'est pas tombé dans la faille quand je lui ai dit que j'aimais les biscuits de Noël. Il m'a juste répondu "Ouvres, tu verras ce qu'il y a dedans."

Un beau bricolage - un cône en sagex décoré en sapin de Noël - dont nous avons bien relevé et surtout commenté la beauté ! Nicolas était tout fier, son sourire reliait presque les lobes des oreilles. Puis il a enlevé son bricolage de nos mains pour le mettre sur l'étagère de sa chambre. Mais... c'est un cadeau pour maman et papa ? Non, c'est un bricolage de Nicolas. Et comme il est si joli, il veut le mettre dans sa chambre.

Nicolas nous a permis d'inviter une amie de la famille qui aurait été seule le soir du 24 décembre. Par contre, il n'a pas réussi à manger en même temps que nous. Le 25 au lever à 6h45, il a ouvert ses cadeaux avant d'aller réveiller ses frères ados vers 10h00 pour qu'ils ouvrent les leurs.


Même après toutes ces années, j'espère toujours vivre un Noël comme les familles "normales", d'inviter du monde, de faire un repas festif... tout en me demandant : C'est quoi une famille normale ?


Noël 2028
Nicolas est maintenant ado. Il n'a pas quitté sa chambre depuis 3 jours à part pour aller aux toilettes et s'alimenter dans notre frigo lorsque les invités sont partis. Nous n'avons pas reçu de cadeau parce qu'ils ne font plus de bricolages au gymnase. Nicolas, lui, a choisi et ouvert son cadeau bien avant le 24. Nous attendons toujours qu'il nous remercie pour la PS7.

C'est à ce moment que je réalise que mon rêve s'est réalisé : Nous venons de vivre un Noël avec un ado comme une famille "normale" !

Sur ce, je vous souhaite une bonne, non, une excellente année ! Merci de continuer à lire mes blogs même s'ils sont moins nombreux. Profitez de chacun des 365 jours, restez en bonne santé. Que vos rêves se réalisent en 2023 déjà !!!




samedi 19 novembre 2022

144. Corrélations

Lorsque j'étais plus jeune, avant que Nicolas entre dans notre vie, je donnais régulièrement des cours de statistique à des employés de banque romands. Un chiffre-clé que nous abordions était la corrélation : c'est une valeur statistique qui décrit le lien entre deux valeurs, et qui se situe entre +1 et -1.

Un exemple concret, que nous vivons depuis quelques mois en Suisse : Lorsque les taux d'intérêts montent (+), les cours des actions ont tendance à baisser (-). Nous avons donc une corrélation négative.

J'avais tendance à banaliser les choses : plus il y a de pluie, plus les kiosques vendent des parapluies (corrélation positive). 
Plus les températures sont élevées, moins les gens portent d'habits (corrélation négative).
Lorsqu'il n'y a pas de lien, la corrélation est neutre (zéro) ou, statistiquement parlant, faible. En moyenne, il ne fait pas plus chaud un mardi qu'un jeudi.

  



Si je donnais un cours de statistique à des parents d'enfants différents, j'expliquerai la corrélation d'une autre manière : 

Premier exemple :
Plus un médecin ou thérapeute est bon, moins son administration fonctionne (corrélation négative). 

En découle que si l'administration fonctionne bien (prise de rendez-vous, respect des heures, facturation...), je me méfierai de la qualité du thérapeute.

Je veux préciser que les personnes qui s’occupent de Nicolas sont particulièrement bons ! Entre les intervenants pour l’autisme et ceux qui soignent l’arthrite juvénile, il y en a du monde... Nous leur faisons confiance à 100%, certains comptent parmi les meilleurs en Suisse romande.

Vous en déduisez que l’administratif ne suit pas du tout et qu'on passe beaucoup de temps à courir derrière les rendez-vous, les ordonnances ou les résultats. 

"Je vous prescris ces gouttes pour 30 jours. Dites-moi dans deux semaines si vous voyez du changement... Non, pas besoin de téléphoner, écrivez un courriel sur mon mail personnel..." 
Les gouttes fonctionnent bien, mais nous n'en avons plus. Malgré 3 mails et au moins dix téléphones, nous attendons une réponse. Malheureusement, ces gouttes ne s'achètent pas comme ça en pharmacie.

C'est un excellent docteur, il est même révolutionnaire. Mais il ne peut pas être bon partout ! Par contre, pour des raisons que je ne comprends pas, un bon médecin ne peut pas engager du bon personnel du bureau.

Non, ce n'est pas la faute de l'unique secrétaire médicale en congé maternité dont la remplaçante a chopé le Covid. Je vous parle de problèmes récurrents qui durent depuis des années.


Deuxième exemple :
Plus la taille de la structure médicale ou thérapeutique est grande, ou plus elle est petite... cela n'a aucune influence sur le fonctionnement de l'administration (corrélation neutre).

Pour commencer, il y a la difficulté voire l'impossibilité d'atteindre quelqu'un au téléphone. Il n'est pas rare que mon épouse écoute une bande en boucle pendant 45 minutes juste pour prendre rendez-vous. Au moins, la bande nous dit qu'ils essaient de répondre rapidement à notre appel. 

Quand, enfin, nous avons réussi à atteindre le secrétariat ouvert de 14h15 à 14h45 les jours impairs sauf en période de lune décroissante, on nous propose un rendez-vous le 17 mars. 
"Oui, je sais que nous sommes en novembre... c'est urgent, je comprends... vous aimeriez venir plus vite car vous avez besoin d'une ordonnance... laissez-moi regarder... je pourrais vous proposer le 14 mars?" 

Les bons médecins sont très recherchés !

Ils nous appellent deux semaines plus tard : "Le docteur doit malheureusement déplacer le rendez-vous, il a eu un imprévu. Il pourrait vous voir le 28 mars, je peux vous caler entre deux rendez-vous ?" 

Non ! Un imprévu n'est pas prévisible cinq mois à l'avance. Et attendre cinq mois pour être casé entre deux rendez-vous, ça ne va pas. Et pourquoi ne pas nous caler entre deux rendez-vous la semaine prochaine ? Parce qu'il a déjà calé quelqu'un d'autre entre deux consultations...

On ira donc voir ce médecin en avril, en sachant aujourd'hui déjà qu'il nous prendra en retard parce qu'il a calé une urgence avant nous. 
Nous venons de mettre les pneus d'hiver, nous remettrons les pneus d'été pour aller à Lausanne expliquer que Nicolas a toujours ses comportements défis et que nous aimerions savoir si on peut le mettre sur une liste d'attente pour commencer une psychothérapie à la rentrée 2023...


L'autre jour, le secrétariat du service qui s'occupe de l'arthrite juvénile au CHUV nous appelle. Il y a des médecins extraordinaires au CHUV (...corrélation négative...) !

"Est-ce que vous êtes dans les bouchons ? Nous vous attendons depuis une heure pour le contrôle bi-annuel de Nicolas." 
Quel contrôle ? Nous n'avons pas reçu de convocation...

Ce n'est pas la première fois que cela arrive. La lettre envoyée en courrier B a tendance à arriver par poste une semaine après la date en question. Une fois encore, nous leur demandons de nous avertir par mail, mais cela ne semble pas être possible en 2022.

Nous attendrons donc encore quelques mois avant de savoir si l'arthrite s'est stabilisée, sauf si Nicolas aura des poussées d'ici-là. Et non, pas de possibilité de programmer le prochain rendez-vous six mois à l'avance, les plannings des médecins ne sont pas connus. Nous essayons donc d'appeler le CHUV cinq mois après le dernier rendez-vous pour programmer le prochain dans un mois. Hélas, nos interlocuteurs là-bas n'ont pas de bande d'annonce... trop souvent personne ne répond.


Vous vous posez la question pourquoi nous roulons une heure pour aller voir quelqu'un à Lausanne? Parce qu'il n'y a personne de libre dans cette spécialité plus près de chez nous !

De plus, les autistes ont besoin de continuité, ils détestent les changements. Nous avons quand même essayé de changer certains médecins, et nous avons regretté. 

Ce qui m'amène au troisième exemple
Plus un médecin est disponible rapidement, moins il est à conseiller... (corrélation négative). 

- Une pédopsychiatre a réduit son activité pour des raisons de santé et ne peut plus s'occuper de notre fils, et ce après quatre consultations pour connaître notre fils. Pas de chance...
- Une psychothérapeute a réussi à nous dire au bout de six consultations qu'elle ne connaissait pas l'autisme et qu'elle n'avait pas les compétences de le prendre en thérapie. 
Cette psychothérapeute travaillait en délégation d'un psychiatre que nous n'avons jamais vu. Il a dû partir d'urgence en Espagne  avec l'arrivée du Covid en 2020... il n'est pas encore revenu. Mais il délègue les thérapies à plusieurs psychologues qui travaillent dans son cabinet.
- Notre tout premier pédopsychiatre - le seul qui était disponible à Fribourg en 2014 - a acquis ses connaissances dans les années 80. Son diagnostic posé au bout d'une bonne année, après nous avoir envoyé voir une logopédiste parce que Nicolas ne parlait pas, n'a pas été accepté par les assurances sociales.

Vous trouvez que je suis trop négatif ? Vous avez probablement raison. Comme chaque règle, il y a bien sûr des exceptions. Il paraît que cela existe, je n'ai juste pas encore trouvé d'exemples.

Je vais quand même terminer cette publication avec quelque chose de positif : Plus je râle dans ce blog, plus je me sens soulagé (corrélation positive).




vendredi 7 octobre 2022

143. La colonie

Je viens de vivre quelque chose que je n'aurais pas imaginé vivre il y a trois mois encore. Quelque chose que, quatre semaines en arrière, me paraissait juste impossible. Il y a cinq jours, je n'aurais pas parié un seul franc dessus. Et pourtant, cela vient d'arriver !!!

Nicolas vient de passer cinq jours en colonie avec sa classe.

Oui, vous avez bien lu. Nicolas est parti en colonie avec des neurotypiques, donc des enfants sans autisme. Les enfants de sa classe, de l'école ordinaire.

Je sais que pour des parents d'enfants sans autisme, ceci peut paraître banal. Quoique... il y a eu des mamans et des papas qui ont eu une larme à l'oeil parce que leur progéniture de neuf ans vient de passer pour la première fois une semaine en camp.

Flashback : Nous avons changé de canton trente mois en arrière pour que Nicolas puisse être scolarisé à l'école ordinaire. Les deux premières années à la « vraie » école ont été une galère. 

Nous savions que Nicolas avait les capacités de fréquenter une école « normale » mais l'équipe pédagogique et la direction de l'établissement voyaient ceci d'un autre oeil. Nicolas était mis dans un coin, condamné à suivre son programme personnalisé avec une accompagnante, et ceci sans parler trop fort pour nous pas déranger les autres. 

Nous nous sommes battus pour que Nicolas soit intégré, mais ils ont persisté pour nous faire comprendre que l'école publique ne pouvait pas s'occuper d'un enfant comme Nicolas. Nous avons fini par céder et l'avons inscrit à l'enseignement spécialisé en avril 2022.

En suivirent différents tests, des observations en classe et un rapport écrit à en donner le vertige. En juin, la réponse des autorités disait qu’ils n'acceptaient pas Nicolas dans une école pour enfants différents, ni dans une solution hybride qui aurait également été une solution.

Etait-ce une question de budgets et de places disponibles?
Serait-ce parce que, contrairement à ce qu'on veut nous faire croire, Nicolas aurait sa place à l'école??? Le courrier ne l’indiquait pas.

Rapidement, notre demande de changer de cercle scolaire, et donc de directeur, de doyens, d'enseignants et de personnel accompagnant a été acceptée. Notre lettre de motivation a été du tonnerre!!! 

On a donc tourné la page pour changer d’école, tout en restant dans l’enseignement ordinaire.

Nicolas a pu aller visiter la nouvelle école avant la rentrée scolaire, et nous nous sommes aperçus que toute l'équipe pédagogique était « TSA-compatible ». La direction a une porte ouverte et, mieux encore, se dirige même vers nous pour prendre des nouvelles. Que ça change!!!

Je reviens donc à mon histoire : En sixième primaire, les enfants de notre nouveau canton partent une semaine en camp. Au début, ceci nous semblait illusoire, mais l'école a insisté pour qu'on essaie. Ils ont mis à disposition l'accompagnante qui connait Nicolas (et que Nicolas connait) pour les 5 jours de colonie.

Il fallait donc préparer notre fils. Mon épouse s'est organisée pour obtenir des photos du chalet, de la chambre, de la salle à manger et même des toilettes pour que Nicolas puisse s'approprier les lieux avant de partir. Elle a créé un scénario social que Nicolas pouvait visionner sur sa tablette. Les maîtresses lui ont fourni le planning de chaque jour trois semaines en avance pour qu'il puisse anticiper ce qu’il allait vivre.

J'estime que vivre une semaine sans Nicolas a donné une semaine de travail à mon épouse pour le préparer.

Et pourtant, la tension et le stress chez Nicolas montaient chaque jour avant le départ. Dimanche encore, je ne pensais pas qu'il allait partir le lendemain...

On lui a clairement expliqué, et aux maitresses aussi, qu'on viendrait le chercher plus vite si cela s'avèrerait nécessaire. En une heure, on serait sur place si vivre en communauté devenait trop compliqué pour Nicolas, ou si vivre avec Nicolas devenait trop compliqué pour la classe et/ou les accompagnants.

Nous avons donc vécu au jour le jour et profité pour sortir, aller au restaurant sans se soucier de trouver une babysitter de confiance ou rester à table jusqu’à tard le soir. Chaque matin au lever, on a spéculé à quelle heure ils allaient nous appeler pour chercher Nicolas. Mais à la place, nous avons reçu des vidéos par WhatsApp montrant Nicolas jouer seul au basket, se balancer sur une balançoire ou bricoler.

Une connaissance nous a dit qu'elle ne pourrait pas vivre sans savoir si elle devait chercher son enfant le soir même ou le lendemain. Nous lui avons répondu que nous planifions toute l'année, semaine par semaine, un mois à l'avance... et que nous apprécions vivre au moins une fois dans cette incertitude.

En avançant dans la semaine, les vidéos reçues montraient Nicolas jouer avec ses camarades sur la place de jeu ou faire des batailles de coussins dans la chambre. D'après l'accompagnatrice, il a fait un bond énorme au niveau socialisation.

Nicolas est donc rentré vendredi après-midi avec le reste de la classe. Il a tenu toute la semaine, et il était grillé cet après-midi en arrivant dans le bus - comme tous les autres enfants de sa classe et comme les adultes qui les ont accompagné.

Oui, Nicolas a passé toute la semaine en colonie. Je me répète mais ça fait tellement du bien de pouvoir le dire. Alors je le redis encore et encore : Nicolas a tenu toute la semaine au camp d'école. De l'école ordinaire.

Cela me montre qu'il a d'énormes qualités d’adaptation. 
Cela me montre aussi qu'une bonne préparation rend possible l'incroyable.
Cela prouve qu'il faut un peu de volonté pour y arriver.
Et cela me prouve aussi que l'ancienne équipe pédagogique avait tort en disant que Nicolas n'avait pas sa place à l'école publique.

Merci le ciel !
Merci à la nouvelle équipe pédagogique ! 
Merci à ma chérie de croire aux capacités de notre fils, et de s’investir autant pour lui !
Merci Nicolas de faire tout ce que tu fais. Tu as mérité une médaille ! Cette médaille, tu l'as reçue aujourd'hui, en rentrant. Tu es le meilleur !


Encore un conseil aux parents d’un enfant TSA : Ne lâchez rien ! Croyez aux capacités de votre enfant car celles-ci sont énormes !


mardi 20 septembre 2022

142. Equinoxe

Ce vendredi 23 septembre à 3h03, le soleil traversera l'équateur du nord au sud. A ce moment-là, le soleil se lèvera au pôle sud pour se coucher au pôle nord. Toute la planète bénéficiera de douze heures d'ensoleillement... même nous dans la Broye parce qu'il n'y aura pas encore de brouillard. Cela s'appelle l'équinoxe, la " nuit égale ".

L'équinoxe de l'automne signifie que les journées deviennent plus courtes, les robes des filles plus longues et les températures plus basses. La baisse de l'ensoleillement provoquera plus de tristesse et de détresse chez l'être humain, des douleurs aux genoux de ceux qui vivent avec des rhumatismes et des douleurs aux oreilles de ceux qui vivent avec un autiste...

" NON ! JE NE VEUX PAS METTRE UN PANTALON ! Je veux mettre un short ! AAAAAAAAAAAAAH !!! " crie notre petit dernier. 

Après avoir mis des shorts presque tous les jours depuis cinq mois, Nicolas ne voit pas pourquoi il faudrait changer les habitudes. Il s'en balance du thermomètre qui n'indique que cinq degrés. Les autistes aiment les routines et ils détestent le changement. Et avec son hypersensibilité, tout bout de tissu qui s'ajoute sur sa peau rend l'acceptation encore plus difficile.

La bataille sera rude et va durer deux semaines, mais au bout de douze jours de rhume et quelques centaines d'éternuements, Nicolas finira par accepter un pantalon long. C'est plus ou moins à ce moment qu'il faudra songer à mettre un pull à manches longues.
" NON, PAS DE PULL ! JE VEUX ALLER A L'ECOLE EN T-SHIRT ! AAAAAAAAAAAAAH !!!! ".

Au bout d'une dizaine de jours et une petite bronchite, lorsque Nicolas aura accepté de mettre un pull, la prochaine bataille sera de le faire porter une veste. Et quelques semaines plus tard d’ajouter un bonnet, puis finalement, lorsque l'hiver sera là, une écharpe et des gants... qu'il faudra enlever par la suite lorsque le mercure montera de nouveau.

Pourquoi notre climat nous fait passer par tous nos états d'âme pour faire passer le thermomètre de plus trente cinq à moins cinq ? Pourquoi ne pas passer d'été en hiver en un claquement de doigts ? Pile ou face, noir ou blanc, jour ou nuit. En Arctique et en Antarctique, il n'y a que deux saisons ! Et pourtant, je doute qu'il y ait beaucoup d'autistes là-bas.

Les animaux de nos latitudes changent leur pelage deux fois par année, en automne et en printemps. Ils ne mettent pas de bonnet pour avoir chaud, ils ne vont donc pas devoir apprendre à s'en passer lorsque les températures prendront l'ascenseur.

Pour préserver mes oreilles et mes nerfs, je songe même à aller plus loin que les recommandations de notre gouvernement et de couper le chauffage tout l'hiver, histoire de devoir mettre un bonnet de novembre à mars, même à l'intérieur, pour surtout ne pas devoir l'enlever et le remettre le lendemain...

Je crains que l'hiver sera long.


Le prochain équinoxe aura lieu 182 jours plus tard, le 20 mars 2023 à 22h24. Les journées deviendront à nouveau plus longues, les températures vont gentiment remonter et avec elles le moral. 

Le quotidien, lui, restera compliqué. Il faudra enlever la veste, les manches longues, les pantalons longs...


samedi 13 août 2022

141. L'heure c'est l'heure

Pour Johnny noir c'est noir, pour Daniel un chat est un chat, et pour Nicolas l'heure c'est l'heure.

Il règle lui-même ses journées comme une horloge suisse, et le moindre écart est aussi mal supporté que le retard d'un train suisse par un pendulaire.

Si une planification précise s'avère importante pour un enfant (autiste ou non) en période scolaire, les parents apprécient lâcher prise pendant les vacances. Comme les autistes ont besoin de prévisibilité et d'organisation, nous avons bien planifié et structuré les mois de juillet et août, jour par jour. L'heure et même la minute, c'est lui-même qui se les impose.

Le lever du matin est l'un des seuls moments qui n'est pas programmé d'avance. Cela arrive entre 6h15 et 6h45, sans réveil. Nicolas déjeune et prend ses médicaments. Ensuite, il joue jusqu'à 8h50, heure où il se repose dans la chambre. Retour à 9h50 pour la suite du jeu. Après le repas de midi (qu'il entame à 11h15 en sortant les Tupperware du réfrigérateur), il se retire dans sa chambre jusqu'à 13h50, heure qu'il annonce à haute voix lorsqu'il descend l'escalier comme un guet.

Pendant la journée, il fait des allers-retours à la cuisine pour guigner l'heure inscrite sur le four. Ou sur l'horloge de la salle à manger. Ou sur le portable à maman.

Même topo le soir : A 20h33, il se met en pyjama, brosse ses dents puis se couche. Le temps d'une histoire, Nicolas se relève et s'agite en chantant et dansant. A 21h31, il appelle maman pour qu'elle lui fasse un bisou. Il pose quelques questions pour se rassurer puis dodo.

Lorsque nous avons des invités, Nicolas veut savoir à quelle heure ils arrivent... et à quelle heure ils partent. Nous demandons à nos invités d'être bien à l'heure annoncée afin d'éviter des crises. Quelques minutes avant l'heure de départ annoncée, Nicolas leur rappelle qu'ils doivent partir dans quelques minutes! Sympa...

Gare aux invités qui arrivent avec dix minutes de retard et qui se font recevoir par notre fils comme du poisson pourri parce qu'il a eu le temps de monter les tours : "Vous êtes méchants, vous n'êtes pas à l'heure !" 

Nous avons essayé d'alléger le cadre en travaillant avec des laps de temps (p.ex. arrivée entre 11h30 et midi), en demandant de la flexibilité, en provoquant nous-même des retards, en supprimant les horloges dans la maison... mais cela ne marche pas. Nicolas s'est fixé ce cadre et il le suit à la minute près.

Nous en avons parlé à des professionnels mais n'avons pas reçu d'aide concrète, à part la ritaline et le risperidone qu'ils nous proposent et que nous refusons parce que nous avons déjà subi tout le parcours il y a quelques années.

Ses réactions peuvent vous paraître étranges lorsque vous lisez ces lignes. Nous vivons avec lui, et nous avons pris l'habitude de ses façons d'agir et réagir. Nous vivons avec les regards et les remarques des autres, cela a changé notre vie.

Nicolas a maintenant dix ans. Il est intelligent et s'est lui-même construit des stratégies pour mieux vivre son quotidien. Comme beaucoup de personnes TSA (ou toutes), il a besoin de structures. Il est capable de s'en créer si nous ne comblons pas entièrement ce besoin. 

J'entends d'autres parents d'enfants autistes qui me disent qu'ils ne structurent pas leur quotidien parce que c'est trop contraignant de tout organiser, parce qu'ils veulent laisser de la liberté à leur gamin ou tout simplement parce que leur enfant n'a pas besoin de planning. Je n'arrive pas à imaginer combien notre petit souffrirait d'un tel manque de structure, ou s'il n'était pas capable de se la créer.


jeudi 21 juillet 2022

140. Un jour sans fin

Imaginez-vous de vivre tous les matins le même réveil, de voir les mêmes personnes qui vivent tous les jours la même chose. Vous, seulement vous, vivez le même jour cent fois ou même plus. Cela vous donne l'occasion d’anticiper ce qui va arriver, de changer des choses, de changer tout court, de devenir quelqu'un d'autre.

Cela vous rappelle le film "Un jour sans fin"? Dans cette comédie de 1993, Bill Murray interprète Phil, un journaliste TV hautain qui doit commenter le jour de la marmotte dans un petit village perdu. Un blizzard arrive et empêche son équipe et lui de rentrer le soir. 

Le lendemain, au réveil, Phil vit exactement le même jour, les mêmes évènements avec les mêmes personnages qui ne réalisent pas revivre le même jour. Tout comme le jour qui suit, et celui qui suit, puis le prochain... Tout est resté bloqué au 2 février. Tous les matins redémarrent le 2 février, tous les jours sont le même jour !


Depuis quelques semaines, avec Nicolas, j'ai l'impression de vivre le même jour tous les jours. Les réveils sont identiques, le combat est identique tous les jours pour qu'il avale ses médicaments dans son jus de pomme, les crises sont pareilles lorsque le chien du voisin aboie ou quand on refuse un caprice. 

Tous les jours, Nicolas pose les mêmes questions dont il connait déjà les réponses :
- Quand est-ce que Jean et Nicole viendront chez nous?
- Quel jour est-ce que j'ai été faire du pédalo avec Stéphanie?
- C'est vrai qu'on ne parle plus quand on est mort? 
- Quand la bouche des morts est décomposée, les squelettes se lèvent de leur tombe?

Tous les jours, il pose d'autres questions auxquelles je ne connais pas la réponse :
- Elle a quel âge Maman Pig?
- De quelle couleur est la sucette de Maggie Simpson?
- Est-ce qu'on voit ses yeux se décomposer quand on est mort?
- Quand je serai mort, je vais de nouveau être un bébé dans une autre famille?

Oui, il pose beaucoup de questions sur la mort depuis qu'une grande tante s'en est allée! Elle est décédée une fois, Nicolas nous questionne tous les jours.

Tous les jours, Nicolas vérifie que son planning mensuel n'ait pas bougé d'un millimètre sur la table basse, et tous les jours il trace chaque évènement prévu sur le planning mensuel. Tous les jours, il crie lorsque le planning a bougé à cause d'un coup de vent ou parce que le chien a touché la feuille avec sa queue.

Tous les jours, il ouvre le frigo avant l'heure des repas pour sortir des tupperware parce que tous les jours, il a faim. Nicolas ne semble pas avoir vécu "Un jour sans faim". Et pourtant, nous lui donnons à manger... 

Même si moi aussi j’ai faim, j’ai l'impression que les jours se suivent et se ressemblent étrangement. Si je n'avais pas mon travail qui change mon quotidien, j'aurais l'impression de vivre "Un jour sans fin" comme Bill Murray.

Dans les forums consacrés à ce sujet (cela existe et c’est probablement tenu par des autistes), les discussions tournent autour du nombre de jours vécus dans le film. Ca tourne entre 36 et 42 pour ce film qui dure une heure quarante, mes certains "experts" disent qu'il aurait vécu plus de 10'000 fois le même jour, temps nécessaire pour pouvoir perfectionner autant son jeu de piano et ses talents en sculpture sur glace.

On parle bien d'un film et je vais arrêter de perdre du temps avec ceci. Ce qui compte est que, dans le film, le 3 février est arrivé une fois que le 2 février aura été un jour parfait. Il en a fallu du temps, mais le jour parfait s’est finalement produit.

Je souhaite donc que Nicolas puisse vivre son jour parfait. Qu'il puisse avancer, qu'il puisse nous poser des nouvelles questions, qu'il trouve un autre emplacement pour son planning.

Et comme ceci n'est pas "Un blog sans fin", je m'arrête ici.


dimanche 12 juin 2022

139. Ouate

Depuis quelques semaines, Nicolas a un nouveau mot préféré : Ouate ! Et pourtant, de toutes les matières, ce n'est pas celle qu'il préfère...

- Nicolas, viens manger s'il te plaît...
- Ouate ?

- C'est l'heure de la douche.
- Ouate ?

- Il faut encore terminer les devoirs.
- Ouate ?

Nicolas apprend l'anglais. Pas à l'école, personne ne lui a rien demandé. Il apprend la langue de Shakespeare sur ses moments de tablette en regardant des vidéos sur YouTube Kids. 

Au début, il se contentait de de nous répondre "What" lorsque nous l'interpellions. Un léger accent dans la prononciation, cela donne "Ouate". Un peu comme Captain Sensible et son "Wot".

Depuis quelques semaines, il ne se contente plus de répéter ce qu'il voit dans les vidéos en anglais, il comprend et il se fait ses propres histoires - en anglais. 

A l'heure du coucher, il s'amuse avec sa prison Playmobil.
- Tchonne, iou hèv tou go tou tchail. 
- Noou, noou, noou, aï dont ouant tou bi in prisonne. 
- Tchonne, iou did somsing vrong ènd iou will péï for it." 
L'autre playmobil commence à pleurer et passe la nuit en prison...

Vous ne comprenez pas ? Ca doit être l'accent... Parce que les histoires ont l'air passionnantes. Les gardiens de prisons font leur tournée.

- Omaïgodde ! Tchonne is not thére éni longuerre. Ouère is Tchonne ?
Les playmobiles s'agitent et partent à la recherche. Le niveau de décibels monte. 

-Uuuuuhuuuuuhuuuuhuuuu ! 
Nicolas monte avec 3 policiers playmobile, il descend avec un autre, part à la cuisine, remonte chercher les 3 policiers qui partent à la recherche de Tchonne (John). 

C'est mieux que le cinéma. C'est du Dolby Surround, du 3D. Il manque juste les sous-titrages pour comprendre...

Au bout de dix minutes, les policiers abandonnent les recherches. Ils repartent dans leur prison s'occuper des autres prisonniers.

- Iou hèv tou steï ir ènd uatch for di odder prisonnirsse. 

- Nicolas, c'est l'heure d'aller au lit...
- Ouate ?
- Brosse tes dents, mets toi en pyjama.
- Omaïgodde... ouate ?

Pendant qu'il se brosse les dents, Nicolas m'explique l'histoire d'avant au cas où je n'aurais pas compris. 
- Il s'est caché où, ce John ?
- Il a réussi à s'enfuir de prison, il est maintenant en liberté. Je ne sais pas où il est. Hi is frii, hi is in libérti.

En quelques semaines, Nicolas a mieux appris l'anglais en autodidacte que moi en trois ans d'école... Ca devient de plus en plus spontané. Vive la technologie, et surtout vive ses capacités hors du commun. Quand je pense qu'il y a des gens qui pensent qu'il a des capacités limitées... j'en parlerai la prochaine fois.


Epilogue
Nicolas dort enfin. Je vais chercher un yaourt dans le frigo. En sortant le gobelet, John me regarde droit dans les yeux. D’un mouvement rapide de la main gauche, je le chope et le remets à sa place... en prison !

Epilogue 2
6h30. Nicolas se lève. Je ne sais pas s'il a les yeux ouverts ou non, mais il descend l'escalier tout endormi. Il découvre que John est en prison :
- Ouate ????




vendredi 22 avril 2022

138. Des nerfs en fer

Il paraît que les employés du fisc sont des êtres (humains ?) qui ne savent pas sourire, des personnes frustrées, mal intentionnées voire méchantes. Je travaille aux impôts depuis 8 ans et je vous assure que je suis bien humain, souriant et très gentil, tout comme la plupart de mes collègues de travail. Mais…


Il nous arrive de placer Nicolas à l’UAT (unité d’accueil temporaire). C’est une institution qui accueille des enfants différents pour quelques heures ou même quelques jours, y compris les nuits. Nous bénéficions d’un certain nombre de journées et nuitées chaque année, ce qui nous permet – ainsi qu’à d’autres parents dans une situation similaire – de souffler un peu et de ne pas péter un câble dans l’immédiat.

Comme l’UAT se trouve à deux kilomètres de mon lieu de travail, nous y plaçons ponctuellement notre fils pendant les vacances scolaires. Je l’amène avant le travail et je retourne le chercher vers 17 heures. 

Nicolas aime aller à l’UAT, les accompagnants sont formés au handicap et il y est moins confronté à la différence parce que tous les enfants y ont leur croix à porter. Les journées là-bas se passent très bien en général.

Nicolas s’est réjoui toute la semaine de passer la journée de vendredi à l’UAT. Ce matin, départ prévu à 7h30. Nicolas s’est levé à 6h45 de bonne humeur. Dix minutes avant le départ, il grimace et nous dit : « Je ne veux pas aller à l’UAT ! » Nous avons l’habitude, c’est toujours comme ça, nous ignorons ses dires. 

Nicolas monte les décibels et se répète : « Je ne veux pas aller à l’UAT ! J’ai peur des copains. » Face à notre manque de réaction, il se met à pleurer. « J’ai peur des autres enfants… j’ai peur des adultes à l’UAT… j’ai peur des jouets… JE NE VEUX PAS ALLER A L’UAT ! »

Pendant que mon épouse l’aide à s’habiller, je mets ses affaires dans la voiture. Il se révolte, nous l’ignorons. Nicolas prend quatre peluches et s’installe dans la voiture.

« Papa, je veux rester à la maison ! » Je lui dis que ce n’était pas possible et de toute façon, il adore aller à l’UAT.
« Papa, tu viens me chercher à 15 heures ! » Je lui ai déjà expliqué cent fois que ceci n’était pas possible, ce sera au plus tôt 17h00, donc je l’ignore. Il ne faut surtout pas ouvrir une brèche !

Pendant les vingt cinq minutes de trajet, je fais abstraction de ses écholalies, pleurs, cris et coups de pied dans le siège arrière. 
« JE NE VEUX PAS ALLER A L’UAT ! J’AI PEUR DES ENFANTS ! LES ADULTES A l’UAT SONT MECHANTS ! JE NE VEUX PAS JOUER AVEC LES AUTRES ! »

J’allume l’autoradio, mais même la musique de AC/DC n’arrive pas à dépasser les cris de Nicolas. 

« MECHANT PAPA ! JE VEUX SORTIR ! JE NE VEUX PAS ALLER A L'UAT ! »

J’ai envie de m’arrêter pour le rappeler à l’ordre. Nous sommes sur l’autoroute, le tachymètre m'indique 128 km/h. S'arrêter ici s'avèrerait trop dangereux. J’accélère pour arriver plus vite.

Nicolas change de stratégie :
« Papa, je veux venir travailler avec toi. Je peux coller les timbres sur les enveloppes. Je veux imprimer des papiers. »

Il a tout compris, lui. 
Je reste de marbre, moi.

Quand je pense que ce gamin n'a pas parlé un seul mot jusqu'à l'âge de cinq ans. Il s'est bien rattrapé depuis.

Arrivé à l’UAT, Nicolas sort de la voiture. Il sonne à la porte et salue la personne qui ouvre quelques secondes plus tard.
« Salut Béatrice, je suis content de te voir. »

Il lui tend la main, se retourne brièvement et m’ordonne de partir sans même me dire au revoir.

J’arrive au travail à 8h15. Quinze minutes plus tard, j’ai rendez-vous avec un contribuable. Il pensera que les employés du fisc sont des êtres (humains ?) qui ne savent pas sourire, des personnes frustrées, mal intentionnées voire méchantes.


samedi 2 avril 2022

137. Everest

Etre papa ou maman d'un enfant autiste demande énormément d'efforts tous les jours. Le quotidien est truffé d'obstacles. Quand vous en avez franchi l'un, le prochain souci approche.

J'entends des commentaires : "Oh! Ce n'est quand même pas monter sur l'Everest !" 

Après avoir vu un documentaire sur l'ascension de l'Everest, je vous donne raison ! Il y a des grandes différences entre grimper sur une montagne de 8848 mètres et s'occuper d'un autiste de 9 ans en train d'être scolarisé.


Monter sur l'Everest :

1. Pour commencer, personne n'a été forcé de monter sur l'Everest. Les personnes qui s'y rendent, des alpinistes confirmés, voient l'Everest comme une étape reine de leur palmarès sportif. 

2. Pour vaincre l'Everest, vous vous préparez à l'avance. Vous êtes un grimpeur à la base, vous suivez un entraînement physique de longue haleine, vous montez par étapes pour vous habituer à l'altitude, tout ceci pour ne pas devoir abandonner à quelques jours du but et de pouvoir atteindre le sommet de notre planète.

3. Pour aller sur l'Everest, vous confiez l'organisation à une agence spécialisée qui organise le voyage, s'occupe des autorisations nécessaires, réserve les hébergements et les sherpas nécessaires pour l'ascension.

4. Monter sur l'Everest coûte beaucoup d'argent. Entre les droits d'ascension, le voyage, les logements, la nourriture, les personnes qui vous aident sur place, les porteurs... il paraît qu'il faut compter entre 50'000 et 80'000 francs, voire 100'000.

5. Pour l'ascension sur l'Everest, vous êtes entourés de professionnels qui connaissent leur métier. Ils connaissent le matériel, les conditions météorologiques, le us et coutumes dans les camps qui longent l'ascension. Vous pourrez compter sur eux. Ils transporteront vos bouteilles d'oxygène pour que vous puissiez respirer quand vous en avez besoin.

6. La durée de l'expédition est limitée à environ 60 jours. Ceci comprend le voyage, l'acclimatation, la montée progressive, l'ascension et bien sûr la descente et le retour.

7. Il va sans dire que durant l'expédition, vous vous concentrez sur l'expédition. Vous n'aurez pas de comptes à rendre à votre chef ou d'autres personnes qui vous demandent de remplir des formulaires.

8. Quand vous retournez à la maison, vous êtes un héro. Les gens vous regarderont d'un oeil admiratif. Tout le monde vous respectera pour l'exploit sportif que vous avez fait. 

9. Dans les années qui suivent l'ascension, personne ne mettra en doute ce que vous avez fait. Ils ne vont pas vous demander si c'était bien l'Everest que vous avez vaincu et pas une petite colline.

10. Vous aurez fourni énormément d'efforts et il y aura forcément des souvenirs qui vous accompagneront pour le restant de vos jours.

11. Et même si vous n'avez pas été jusqu'au sommet, ce sera la faute à la météo ou un problème de santé. Vous resterez un héro !



S'occuper d'un enfant autiste est différent :

1. Personne ne vous demande si vous avez envie d'avoir un enfant autiste. Vous faites un enfant, vous découvrez des années plus tard qu'il est autiste.

2. Vous n'avez pas le temps de vous préparer. On vous balance un diagnostic qui explique pourquoi les dernières années étaient compliquées, et qui laisse entrevoir que les prochaines années seront encore plus compliquées.

3. Vous ne pouvez pas compter sur les autres parce que personne n'arrive à capter les besoins de votre enfant aussi bien que vous. Et comme l'autisme reste une différence méconnue, même les professionnels ne connaissent pas les possibilités. Pour le bien de votre enfant, vous devenez le pro de l'organisation.

4. Un enfant autiste coute beaucoup d'argent, que ce soit en matériel thérapeutique, en médicaments, en thérapies, en accompagnement. Le montant n'est pas connu à l'avance et n'est pas dû en une seule fois, mais il reste très important. Et non, tout n'est pas couvert pas les assurances.

5. Si vous avez la chance de trouver un professionnel qui s'occupe de votre enfant, il faudra encore plus de chance pour qu'il connaisse l'autisme. Et si vous avez déniché la perle rare, il faudra que cette personne trouve du temps pour s'occuper de votre enfant.
Vous pourrez respirer pendant 45 minutes, durée de la thérapie, après et avant votre mission de taxi. Respirer un peu après et avant les cris de l'enfant qui ne supporte pas les transitions.

6. La durée de l'expédition est limitée dans le temps : Vous vous arrêterez le jour de votre décès (ou lors de votre entrée en psychiatrie...).

7. Malgré toutes les missions en relation avec votre enfant (école, thérapies, médecins, sans parler du quotidien à la maison avec les insomnies, crises permanentes...), votre employeur attendra le même rendement de vous que celui de vos collègues qui n'ont pas d'enfants et qui partent se reposer en vacances 5 semaines par année.

8. Non, vous n'êtes pas un héro mais un zéro. Oui, dans les yeux des autres, vous êtes un nul parce que vous ne sortez plus, vous passez trop de temps à la maison, vous vous abandonnez pour votre enfant. Les voisins aussi se posent des questions parce qu'ils entendent des cris qui sortent de chez vous...

9. Même sept ans après le diagnostic, ce dernier est régulièrement mis en doute. 
"Il est guéri ? Il a l'air aller mieux !" 
"Vous êtes sûr qu'il est bien autiste ? Il m'a regardé dans les yeux."
Même l'assurance-invalidité nous pose la question chaque deux ans pour savoir s'il est toujours autiste... A croire qu'eux croient encore au miracle !

10. Tout au long de la mission "accompagner son enfant autiste", vous cumulez les bons souvenirs. Il doit en avoir un ou deux chaque année...

11. Abandonner n'est pas une option. Même s'il y a de la pluie, une tempête, la neige ou même une tempête de neige... et même si vous croisez le yéti en personne, vous ne laisserez JAMAIS votre enfant autiste seul.



Alors, vous choisissez l'Himalaya ou l'enfant autiste?

Je regarde Nicolas jouer. Il fait des progrès, mais il reste autiste. Mon choix est fait. Je resterai papa d'enfants autistes.

Et je remercie le ciel que sa maman fait le même choix tous les matins en se levant ! Merci Francine !






samedi 22 janvier 2022

136. Positif

Lorsque je travaillais à la banque, mes chefs m'ont toujours dit qu'il faut dire aux clients tout ce qu'il y a de positif.

J'annonce donc que mon test Covid mardi a été positif. Et celui de mon épouse quelques jours plus tôt aussi, tout comme les 3 tests PCR effectués jeudi à nos trois enfants. Que du positif !

Rassurez-vous, nous allons bien. Même si ça n'a rien avoir avec "comme une grippe", citation de notre ministre de la santé, aucun de nous cinq n'a dû être hospitalisé ou même branché au respirateur. Ouf !

Je ne dirai pas que les 2 vaccinés de la famille ont eu des symptômes bien plus forts que les non-vaccinés. Non, je ne le dirai pas... et pourtant, c'est vrai !

Chez nous, le plus compliqué ne fut pas le satané virus... mais les mesures qui vont avec. 

Nicolas venait de reprendre le chemin de l'école après deux longues semaines de vacances, et ce avec un grand sourire. Le soir, lorsque sa maman a développé des symptômes et constaté que son autotest était positif, elle s'est mise en isolement dans notre chambre. Les membres non vaccinés de la famille ont dû se mettre en quarantaine.

Du chamboulement à très court terme pour Nicolas : 
- Pourquoi maman s'enferme dans sa chambre ? Pourquoi elle ne mange plus avec nous ? Est-ce que maman est fâchée avec moi ?
- Pourquoi je ne peux plus aller à l'école ? Je ne suis pas malade.
- Pourquoi je n'ai plus le droit d'aller à la logothérapie et à l'ergothérapie ? J'aime bien y aller !
- Pourquoi je ne peux plus aller jouer dans la chambre à Papa et maman?
- Pourquoi je dois aller me faire tester, moi ? Je ne suis pas malade !

Comme presque tous les autistes, Nicolas a beaucoup de peine avec les changements, les imprévus et tout ce qui sort de l'ordinaire. De plus, il a des hypersensibilité sensorielles. Couper les ongles ou les cheveux dépasse ses limites, imaginez-vous un test PCR...

Nous avons donc refait son planning mensuel du mois de janvier en enlevant toutes les activités prévues durant la semaine. Au moins, Nicolas aura de nouveaux repères pour le reste du mois de janvier. J'ai obtenu le droit de télétravailler toute la semaine et essayer de gérer Nicolas, les repas et ce qui va avec.

N'ayant plus de symptômes, ma chérie a pu sortir de son isolement dimanche. Quel soulagement ! Nicolas s'est réjouit de reprendre enfin l'école et ses thérapies qu'il aime tellement.

La vie est belle !

Mardi, pendant que Nicolas était à l'école, rebelote! Cette fois-ci, les symptômes sont apparus chez moi : Autotest, isolement pour moi, quarantaine pour Nicolas... plus d'école, pas de thérapies, papa enfermé dans la chambre. Encore un nouveau planning, encore un test PCR pour Nicolas qui comprenait encore moins le monde dans lequel nous vivons.

Mercredi soir, ses deux frères ont aussi commencé à avoir des symptômes. Les résultats des trois tests PCR nous sont parvenus vendredi soir vers 22h00 (les labos travaillent tard, merci à eux).

Toute la famille a donc été positif au Covid, sans séquelles. Et Nicolas, lui, pourra de nouveau aller à l'école lundi, à la logo, à l'ergo... à condition bien sûr qu'ils ne ferment pas l'école et que les thérapeutes ne sont pas en quarantaine.

Je m'estime chanceux. Après tout, les cinq auraient pu tomber malade à cinq jours d'intervalle, donc sur 25 jours. Et comment aurions nous fait si la quarantaine n'avait pas été baissée de dix à cinq jours quelques jours plus tôt, alors que le virus est resté le même ? Là, en deux semaines, c'était bâché !

Bonne santé à vous !



PS :
En 1984, Jean-Jacques Goldman a sorti son troisième album "Positif" contenant neuf chansons : Envole-moi, Nous ne nous parlerons pas, Plus fort, Petite fille, Dors bébé dors, Encore un matin, Je chante pour ça, Long is the Road, Ton autre chemin. 

Prémonitoire? La route a été longue, espérons trouver l'autre chemin maintenant...