vendredi 27 novembre 2020

124. Un matin comme tous les autres

5h45 : Nicolas se réveille. Il dormait encore profondément il y a trente secondes, là il me demande « on peut se lever ? » Oui, je suis à côté de lui car cette nuit, c’est moi qui ai dormi sur le matelas posé par terre dans sa chambre. On se relaie avec mon épouse depuis que nous avons déménagé car Nicolas ne veut / ne peut plus dormir seul. Nous essayons de revenir à une normalité mais cela s’avère plus compliqué que prévu. Quand il se réveille la nuit, il s’assure qu’il y ait bien quelqu’un à côté de lui. Si ce n’est pas le cas, il descend (tout endormi) l’escalier et vient dans notre chambre nous réveiller. Un déménagement reste un grand changement pour un autiste même si, au fond, nous avons déménagé pour son bien.

6h05 : Après avoir posé quinze fois la question « on peut se lever ? », je lui dis que oui. D’un pas lourd (l’arthrite juvénile est bien présente), Nicolas descend l’escalier et se dirige vers le planning journalier. Le niveau sonore monte : « Non, je ne veux pas prendre la douche ce soir ! » Nicolas n’aime pas les douches. Il faut quand même se laver. Il s’énerve, il crie, il hurle. J’enlève le picto « douche » pour qu’il ne réveille pas les autres et je sais déjà que je mets en péril la douche du soir, étant donné que le picto ne figurera plus sur le planning.

7h00 : Nicolas déjeune. Maman a mélangé les médicaments contre l’arthrite dans la pâte à tartiner mais Nicolas n’a pas faim. Il saute, il court, il joue, mais il ne mange pas. Au bout d’une demi-heure, il a mangé morceau par morceau de sa tartine… ou est-ce le chien qui aurait avalé le pain-nutella-médicaments ?

8h15 : Depuis mon bureau télétravail, j’entends ma femme motiver Nicolas : « Habille-toi », « vas-y », « dépêche-toi, on doit partir dans dix minutes ». Mais Nicolas n’aime pas la couleur du pantalon noir qui allait très bien la semaine passée. L’étiquette du t-shirt le chatouille dans le dos, elle sera donc coupée en deux temps trois mouvements. Les autistes ont une sensibilité que nous, les neurotypiques, ne comprenons pas toujours.

« Je ne veux pas mettre le pull, il fait chaud dehors ! » Ah non, il a gelé… Les décibels montent de nouveau, la résistance de mes nerfs baisse. Et pourtant, je suis dans la pièce à côté en train de télétravailler. Ce n’est pas moi qui m’occupe de mon fils !

8h25 : Plus que le brossage des dents (Nicolas n’aime pas le goût du dentifrice… d’aucun dentifrice !), mettre les chaussures (il y a une saleté dessus), la veste (je ne veux pas, il fait chaud dehors) et le bonnet et hop, loin. 

8h30 : Je décide de faire une pause au travail et d’accompagner mon fils et ma femme à l’école. Nicolas est content d’aller à l’école, il aime son pantalon noir et est content d’avoir mis la veste chaude.

Au premier virage, le chien des voisins aboie. Nicolas crie. Le chien a peur des cris et crie plus fort, Nicolas a plus peur et crie encore plus fort. Au bout de cinq minutes et cinquante mètres, Nicolas s’est un peu calmé, et nous poursuivons notre chemin. 

Au bout de 200 mètres, il y a un chantier. Aujourd’hui, une grande bétonneuse bloque une partie du chemin. Nicolas râle parce qu’il ne peut plus longer la haie verte à gauche du chemin, il doit dévier de son chemin habituel et longer la droite du trottoir. Le camion démarre et freine de suite, le bruit du moteur qui accélère est enchaîné par celui des freins qui grincent. Nicolas sursaute et crie, il a eu peur.

Nous traversons la rivière par la passerelle. Un ouvrier de la voirie souffle les feuilles avec un gros engin, c’est le prochain bruit qui apeure Nicolas. Le balayeur comprend, il s’arrête et nous dit bonjour, Nicolas repart en cris : « Noooon ! Je ne veux pas dire bonjour au monsieur ! Pas dire bonjour ! » Dix mètres plus loin, Nicolas se retourne et dit au revoir à l’ouvrier...

8h42 : En arrivant à l’école, l’assistante à l’intégration vient chercher Nicolas deux minutes avant la sonnerie afin d’éviter la cohue quand tous les enfants entrent en criant. Elle est sympa, tout le monde ne fait pas l’effort d’arriver en avance. Juste quelques secondes pour transmettre l’information la plus pertinente parce que Nicolas ne supporte pas d’attendre… « Oui, tout va bien. Rien de spécial. Comme d’hab. »

8h45 : La cloche sonne. Deux cent gamins foncent vers la porte d’entrée en courant et criant. Comment va réagir Nicolas avec tout ce bruit ? Est-ce qu’il va se faire écraser par la foule qui court ?

Je dis à ma femme que le trajet ce matin était compliqué. Elle me regarde d’un air surpris et m’assure que c’était comme toujours. Même mieux, il n’y avait pas de pluie aujourd’hui, Nicolas ne supporte pas les habits mouillés.

8h55 : Je reprends mon télétravail alors que mon épouse part promener le chien. La journée vient de commencer, je suis déjà fatigué mentalement !

Le week-end, quelqu’un qui connaît Nicolas me dit que notre petit fait des super progrès, qu’il s’ouvre au monde, que tout a l’air d’aller bien. On a de la peine de croire qu’il est autiste…

Moi pas !

 

 

dimanche 8 novembre 2020

123. L’école de vie

Depuis la rentrée fin août, Nicolas est scolarisé. Et même si la poussée d'arthrite et les différentes thérapies l'empêchent d'aller à l'école à 100%, il suit le programme scolaire comme ses camarades. 

Les chiffres, c'est son truc. La lecture un peu moins (même si cela lui permet de lire ce qui est écrit sur les panneaux routiers), l'écriture reste difficile avec sa motricité fine pas très développée. Nicolas récite les mêmes poésies et chante les mêmes chansons que les autres... lorsqu'il est à l'école!

A la maison, c'est plus compliqué. Nicolas n’aime pas faire les devoirs. Il ne voit pas pourquoi il devrait réciter les poésies ou chanter devant nous. Un vrai rebelle... Mais nous constatons les progrès parce qu'il arrive à lire plus vite les inscriptions du paquet de corn flakes ou la brique de lait. Pour l'instant, toutes les notes reçues à l'école sont bonnes ou assez bonnes.

En regardant ses résultats, je me pose la question pourquoi d'autres cantons refusent une scolarité normale à un enfant comme Nicolas. Il m'arrive même de penser qu'il aurait "guéri" de son autisme - en sachant qu'on nait autiste et qu'on le reste toute sa vie.

Et c'est à ce moment qu'arrive en retour le dernier test de maths. Sur les pages matheuses, celles avec les chiffres, tout est juste. Juste une petite erreur de concentration, 31 points sur 32. Bravo!

Hélas, une page additionnelle a été glissée dans le test sur laquelle il fallait entourer des fleurs pour faire des paquets de dix, compter les étoiles, relier des objets... Toutes ces tâches étaient sur la même page, bien compressées pour en mettre un maximum sur la feuille. C'est à ce moment que l'autiste n'arrive plus à suivre. La feuille lui paraît désordonnée, il se concentre sur les dessins. Les détails l'empêchent de voir l'image globale, de se concentrer sur la tâche. Zéro points sur les six possibles de cette page ce qui ampute un peu son résultat (qui reste bon).

Dès le début, nous avons rendu l'enseignante attentive que les feuilles trop colorées ou avec trop de choses différentes déconcentraient un enfant autiste. Mais comme il suit le programme normal, il remplit les mêmes fiches. Dans la vie, il ne peut pas demander des exceptions tout le temps.

Parce que dans la vie, les tickets de caisse au magasin comporteront des dessins? Il devra entourer les fleurs sur sa déclaration d'impôts? Quand il travaillera à la NASA, en calculant la distance entre la terre et la voie lactée, il devra encercler les comètes? Bref...

Même avec ce petit bémol, je reste d'avis que le changement de canton en valait bien la peine. A Fribourg, il n'aurait pas eu droit de faire un test de maths...