samedi 27 mai 2017

16. Quand je serai grand, je serai...

Le samedi et dimanche, nous nous prenons régulièrement du temps quand nous sommes à table avec les enfants. Comme les semaines sont souvent très chargées, nous relaxons tranquillement autour de l'appareil à crêpes ou le four à raclette, discutons de ci et ça, nous jouons à des jeux style "je mets dans ma valise..." ou "je m'appelle Albert, habite Atlanta en Amérique, je collectionne des Armoires et je suis Archéologue", puis la même chose avec B, C etc. Même si cela paraît ringard, cela nous fait beaucoup rire et nous permet de passer des bons moments en famille.

Nicolas a le droit de ne pas jouer sans être éliminé. Il est un peu jeune pour avoir une telle culture générale - et il ne parle pas ! Nous prenons alors le relais et participons pour lui. 

L'autre jour, je me suis arrêté net en réfléchissant au métier que Nicolas pourrait faire quand il sera grand. En effet, quelle profession notre jeune garçon exercera-t-il plus tard? Pour de vrai, pas dans le jeu. Est-ce que Nicolas sera un jour cuisinier? Testeur de sirènes? Avec une avancée de la technologie, il pourrait peut-être même être chargeur... il mettra l'énergie qu'il a en trop (et celle qu'il nous puise) à disposition pour charger les portables, vélos et même voitures électriques!

Il y a beaucoup de gens célèbres qu'on dit autistes et qui ont fait avancer (ou pas) l'humanité : Bill Gates, Steve Jobs ou Andy Warhol. On dit que Mark Zuckerberg est aussi autiste mais moi je n'y crois pas. On peut également lire que Marie Curie, Albert Einstein, Thomas Edison ou Graham Bell l'étaient, ce sera difficile de vérifier.

Est-ce que Nicolas serait un petit génie qui gagnera un jour un prix Nobel ? Difficile à imaginer, il n'arrive même pas à aller aux toilettes tout seul !

Certes, il y a des gens autistes qui sont surdoués. Il y en a aussi qui sont tellement perfectionnistes (ou pinailleurs) et qui essaient jusqu'à ce que tout joue et qu'ils ont du succès. La réalité est malheureusement  une autre : beaucoup de personnes autistes ont la peine à survivre économiquement. Voudriez-vous, en tant que patron, employer une personne qui pense autrement et parle autrement parce qu'elle a une autre logique ?

Si quelques autistes peuvent bénéficier d'une aide d'intégration ou d'un atelier protégé de l'assurance sociale, d'autres doivent plutôt espérer recevoir du soutien de l'aide sociale ou d'une famille bienveillante. Non, ce ne sont pas des bons-à-rien ni des fainéants ! Ils n'arrivent pas à intégrer le monde du travail... disons plutôt que le monde du travail n'arrive pas à intégrer les autistes !

Que font les autistes alors quand il n'écrivent pas des lettres de postulation ? Allez sur Wikipedia. Parmi les 100 plus grands contributeurs, nous trouvons plus de 60 autistes diagnostiqués. Et je parie que sur les 40 autres, il y a au moins 30 autistes pas encore détectés ! C'est Josef Schovanec, un célèbre auteur autiste, qui l'a dit lors d'une conférence que j'ai eu la chance de suivre, et je le crois ! Un autiste ne sait pas mentir.

Mais qu'écrivent les autistes sur Wikipedia ? Nous pourrons etudier des heures et des heures le curriculum vitae de personnages fictifs tél que Blanche-Neige, essayer de comprendre ce qu'est la Suisse en ancien anglais, ou se renseigner sur le Ramadan en latin. Qu'ont ces articles en commun, à part qu'ils n'intéressent presque personne ? Ils ont tous été écrits la nuit. Car durant la nuit, l'autiste s'active parce qu'il a trop peu de sécrétion de mélanine, l'hormone du sommeil...

Détrompez-vous, les Wikipédiens ne sont pas riches. Même dix contributions par soir ne leur permettront pas de se nourrir et payer le loyer !

Mais je vais revenir au titre de ce blog : que fera Nicolas quand il sera grand ? Je vous avoue que c'est une question que je me pose tous les jours. Je n'ai pas encore trouvé de réponse, et je ne suis pas pressé de savoir ce qui l'attendra. Cela m'angoisse...

Comme l'argent ne rend pas heureux, je souhaite la chose suivante à tous mes fils, et plus particulièrement à Nicolas : Qu'il soit heureux ! Pour l'instant, à voir son sourire, il l'est ! Qu'il garde cet état très longtemps sans réaliser ce qui l'attend !

mardi 16 mai 2017

15. Le chevalier des dragons verts

Permettez-moi de me présenter : Je suis Sire Nicolas, le jeune chevalier avec la noble mission de protéger les dragons verts !

Les dragons verts sont une espèce très rare. En avez-vous déjà vu? Non? Voici la preuve que ce que j'ai dit est juste... d'où l'importance de ma mission !

Mon champ d'action, ce sont les différentes places de jeu de Fribourg. J'ai beaucoup de travail pour couvrir tous les lieux, je dois m'y rendre tous les jours, même deux ou trois fois par jour les fins de semaine.

Qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il neige, j'exécute mon devoir avec beaucoup d'engagement. A la maison, ils ont de la peine à comprendre (surtout lorsqu'il faut mettre des gants et un bonnet pour sortir). Si personne ne réagit à la maison, je commence à courir dans les couloirs et à sauter sur les canapés, jusqu'à ce que mon fidèle serviteur (il s'appelle papa) se décide de m'amener aux lieux que je me suis approprié.


Mon serviteur et taximan dit qu'il s'agit de dinosaures ou d'hippocampes, mais il n'en a aucune idée. Ce sont des dragons verts que je protège ! Voici la preuve :



Quand j'arrive sur un lieu d'action, je cours directement vers le dragon et m'y installe. C'est dûr de devoir rester une heure sur mon dragon alors qu'il y a plein de balançoires, toboggans et structures de grimpe autour de moi. Mais j'ai appris à résister aux appels des autres jouets afin de poursuivre ma mission.

Mon travail consiste à m'assoir sur les dragons pour qu'il n'y ait pas d'autres enfants qui montent dessus. Ca m'arrive de me balancer un peu pour tester si le dragon est toujours en bonne santé.

Souvent, d'autres enfants s'approchent de mon dragon. Je fais semblant de ne pas les voir. En général, ils s'en vont au bout de quelques secondes sans que j'ai dû utiliser mon arme secrète.

Mon arme secrète ? Ce sont mes cordes vocales. Sans aucun préavis, j'arrive à émettre un cri strident qui fait fuir chaque intrus. Les enfants qui voulaient s'approcher de mon dragon partent vite et ne reviennent pas, même si papa s'excuse et sort quelques explications "aux tristes" ou "otite", ce qui n'est pas vrai parce que je n'ai pas mal aux oreilles. Décidément, mon papa ne comprends rien. Ce qui compte, c'est que mon but soit atteint : j'ai protégé le dragon des autres enfants.

Des fois, quand il n'y a pas d'autres enfants aux alentours, je me permets de m'éloigner de quelques mètres afin de faire en vitesse un tour de toboggan. Mais je vous rassure, dès que l'ombre d'un autre enfant s'approche à moins de dix ou quinze pas, je reprends rapidement mon poste.

Quand il y a du vent, les dragons doivent avoir froid parce qu'ils tremblent sans que je les touche. J'essaie alors de les immobiliser avec mon arme secrète. Malheureusement, je n'ai pas encore trouvé la bonne fréquence de cris pour les arrêter, mais je suis sûr qu'avec quelques décibels de plus, j'arriverai à neutraliser le vent.

Je m'occupe bien de mes dragons. Quand papa me donne une pompote ou un petit chocolat, je partage avec eux. Ils sont bien nourris, ils refusent même de manger mes douceurs. Pour ne pas fâcher mon fidèle serviteur, je me sacrifie pour les manger. Je suis un chevalier et me comporte ainsi !

Depuis mon poste, j'observe toute la place de jeu. Je suis les chevalier des dragons verts ! Je suis fier de pouvoir assurer cette noble tâche, les dragons verts me le rendront un jour. Ce sont mes meilleurs amis.

La vie est belle quand on est dans son monde et que personne ne vous sort de là...




lundi 8 mai 2017

14. Première lecture

Un truc de dingue! Hallucinant! Splendide! Ou comme dirait Mary: Supercalifragilisticexpidélicieux!!! 

Je vais m'arrêter là avec les superlatifs, au risque de vous décevoir... c'est trop SPOKY!!!

Prenons d'un côté Nicolas, quatre ans et demi depuis quelques jours, diagnostiqué TSA (autiste). Troubles du sommeil, incontinent, très actif, aphone. Non, il ne parle pas.

De l'autre côté, des thérapeutes à n'en pas finir: logopédiste, ergothérapeute, enseignante spécialisée, éducatrice, sans oublier la pédopsychiatre et la pédiatre. Tous, sans exception, disent que Nicolas est un autiste qui a beaucoup de potentiel. La parole, ça viendra quand il le faudra. Bla bla bla... Bien sûr, il a réussi à coller l'alphabet magnétique dans le bon ordre à deux ans et demi, mais j'attends toujours de voir la suite. 

Puis, il y a moi. Papa qui aimerait y croire que son petit dernier ne finisse pas dans un atelier protégé. Papa qui a quand même beaucoup de doutes quant aux capacités d'un petit. Comment ce monde acceptera-t-il un être qui n'arrive pas à s'exprimer (sauf par des cris)?

Depuis deux ou trois semaines, Nicolas sort quelques mots. C'est rare, mais ça arrive presque tous les jours. Non, il ne dit pas "maman" ou "papa", surtout pas quand on est là. Le mot qu'il répète régulièrement, c'est "Barbapapa" quand il a envie de voir son nouveau DVD préféré. Pour indiquer qu'il faut changer sa couche-culotte, il va chercher un pampers propre et nous le tend en disant "gros caca" ou "gros pipi" (même si ce n'est qu'un petit). Pourquoi faire simple...?

Nous n'arrivons jamais à le faire répéter, par exemple pour filmer ou juste pour l'admirer. Nicolas ne dit qu'une seule fois les choses, et il nous prend par surprise. Tant pis pour ceux qui n'ont pas écouté. Dans une autre vie, il a dû être un indien. Il paraît que ceux-ci ne parlent que quand ils ont quelque chose à dire. Ca change de son papa...

Oui, j'y arrive: Hier soir, au souper, Nicolas s'est levé une fois les cinq ou six premières cuillères avalées et a commencé à tourner autour de la table. Nous n'y prêtons plus attention. Il revient chiper une pâte ou un morceau de viande dans son assiette (ou dans une autre), il ne mourra pas de faim chez nous.

Tout à coup - non, je n'exagère pas - nous entendons "Ma - t - t - ias", avec les deux T bien distincts! Ce petit malicieux, ce prodige, ce formidable petit garçon, tenait en main une facture qui traînait encore en bout de table. Nous étions très surpris, lui très concentré en pointant l'adresse avec son doigt... Puis un grand sourire: "Ma-t-t-ias". 

C'est bien la première fois qu'une facture me fasse autant plaisir! Et encore plus qu'elle soit adressée à moi!

L'avenir appartient à Nicolas! MERCI!