vendredi 22 avril 2022

138. Des nerfs en fer

Il paraît que les employés du fisc sont des êtres (humains ?) qui ne savent pas sourire, des personnes frustrées, mal intentionnées voire méchantes. Je travaille aux impôts depuis 8 ans et je vous assure que je suis bien humain, souriant et très gentil, tout comme la plupart de mes collègues de travail. Mais…


Il nous arrive de placer Nicolas à l’UAT (unité d’accueil temporaire). C’est une institution qui accueille des enfants différents pour quelques heures ou même quelques jours, y compris les nuits. Nous bénéficions d’un certain nombre de journées et nuitées chaque année, ce qui nous permet – ainsi qu’à d’autres parents dans une situation similaire – de souffler un peu et de ne pas péter un câble dans l’immédiat.

Comme l’UAT se trouve à deux kilomètres de mon lieu de travail, nous y plaçons ponctuellement notre fils pendant les vacances scolaires. Je l’amène avant le travail et je retourne le chercher vers 17 heures. 

Nicolas aime aller à l’UAT, les accompagnants sont formés au handicap et il y est moins confronté à la différence parce que tous les enfants y ont leur croix à porter. Les journées là-bas se passent très bien en général.

Nicolas s’est réjoui toute la semaine de passer la journée de vendredi à l’UAT. Ce matin, départ prévu à 7h30. Nicolas s’est levé à 6h45 de bonne humeur. Dix minutes avant le départ, il grimace et nous dit : « Je ne veux pas aller à l’UAT ! » Nous avons l’habitude, c’est toujours comme ça, nous ignorons ses dires. 

Nicolas monte les décibels et se répète : « Je ne veux pas aller à l’UAT ! J’ai peur des copains. » Face à notre manque de réaction, il se met à pleurer. « J’ai peur des autres enfants… j’ai peur des adultes à l’UAT… j’ai peur des jouets… JE NE VEUX PAS ALLER A L’UAT ! »

Pendant que mon épouse l’aide à s’habiller, je mets ses affaires dans la voiture. Il se révolte, nous l’ignorons. Nicolas prend quatre peluches et s’installe dans la voiture.

« Papa, je veux rester à la maison ! » Je lui dis que ce n’était pas possible et de toute façon, il adore aller à l’UAT.
« Papa, tu viens me chercher à 15 heures ! » Je lui ai déjà expliqué cent fois que ceci n’était pas possible, ce sera au plus tôt 17h00, donc je l’ignore. Il ne faut surtout pas ouvrir une brèche !

Pendant les vingt cinq minutes de trajet, je fais abstraction de ses écholalies, pleurs, cris et coups de pied dans le siège arrière. 
« JE NE VEUX PAS ALLER A L’UAT ! J’AI PEUR DES ENFANTS ! LES ADULTES A l’UAT SONT MECHANTS ! JE NE VEUX PAS JOUER AVEC LES AUTRES ! »

J’allume l’autoradio, mais même la musique de AC/DC n’arrive pas à dépasser les cris de Nicolas. 

« MECHANT PAPA ! JE VEUX SORTIR ! JE NE VEUX PAS ALLER A L'UAT ! »

J’ai envie de m’arrêter pour le rappeler à l’ordre. Nous sommes sur l’autoroute, le tachymètre m'indique 128 km/h. S'arrêter ici s'avèrerait trop dangereux. J’accélère pour arriver plus vite.

Nicolas change de stratégie :
« Papa, je veux venir travailler avec toi. Je peux coller les timbres sur les enveloppes. Je veux imprimer des papiers. »

Il a tout compris, lui. 
Je reste de marbre, moi.

Quand je pense que ce gamin n'a pas parlé un seul mot jusqu'à l'âge de cinq ans. Il s'est bien rattrapé depuis.

Arrivé à l’UAT, Nicolas sort de la voiture. Il sonne à la porte et salue la personne qui ouvre quelques secondes plus tard.
« Salut Béatrice, je suis content de te voir. »

Il lui tend la main, se retourne brièvement et m’ordonne de partir sans même me dire au revoir.

J’arrive au travail à 8h15. Quinze minutes plus tard, j’ai rendez-vous avec un contribuable. Il pensera que les employés du fisc sont des êtres (humains ?) qui ne savent pas sourire, des personnes frustrées, mal intentionnées voire méchantes.


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